Comme un poisson dans l'eau | w/ Alessandro T. (PAPY :D)

Les matins, je n'ai jamais vraiment aimé les matins. Pas que je sois feignant, mais je préfère lorsque la chaude lumière de l'après-midi réchauffe les océans, ou la belle lumière de la Lune jouer avec l'écume. Ici bien sûr, de mer il n'y a que l'écho car nous sommes dans un aquarium. Quelques visiteurs déjà se perdent dans les allées. Il n'est que dix heures du matin et nous sommes en semaine. Je me demande si aujourd'hui sera un jour d'affluence ou un jour sans.

De mémoire aujourd'hui, nous n'avons personne qui a réservé une nage avec les requins-baleines ou les dauphins, pensif je me dirige vers le bassin des premiers. Un immense bassin mais tout de même trop petit pour les avides de liberté. Ici ils sont protégés, bien sûr, mais à quel prix ?
J'aimerai pouvoir leur parler comme avant et non juste pouvoir les toucher et partager leurs vies. Soupir.

Normalement pour plonger il faut une combinaison, c'est que qu'ici nous imposons à tous mais... Je suis le maître de cet endroit, le soir je fais selon bon me semble lorsque personne n'est là pour le voir et le savoir mais de jour, avec les visiteurs... Je regarde le local où il est indiqué ' privé ' en lettres majuscules. La mort dans l'âme je vais revêtir une tenue moulante noire à la matière souple. Par contre à mon nez je ne mets rien, pas plus que je ne prends de bouteille d'oxygène. Si on me demande... Je dirai que j'ai une bonne capacité pulmonaire, ou que j'utilise un nouveau système à la mode...

Enfin prêt, je plonge dans le bassin et l'une des femelles remonte pour me saluer, elle me frôle et je souris en posant ma main sur son dos. Je plonge alors avec elle... Pour donner le change, il faudra sans doute que je remonte rapidement, n'est-ce pas ?

Une jeune femme fixe les poissons plus attentivement que la majorité des gens il me semble. Elle semble presque fascinée et pose sa main sur la vitre. Contrairement aux enfants et aux gens de peu d'éducation, elle ne frappe pas contre le carreau et je lui en suis reconnaissant.

Son regard se pose sur moi et mon regard croise le sien. Je la salue d'un signe de tête avec un petit sourire sans ouvrir la bouche. Un humain ne le ferait pas, un humain ne respire pas l'eau comme de l'air comme moi. Je ne vais pas pouvoir rester longtemps si elle-même reste là, cela ne ferait pas très crédible et quelque part je pourrai lui en vouloir mais je ne le fais pas. C'est moi qui ait choisi de prendre des risques en cet instant et cette visiteuse n'y est pour rien. C'est rare de voir une fille de son âge si intéressée par le monde aquatique. Qui serais-je pour le lui reprocher ?

Elle sort un crayon et un bloc de papier et se met à dessiner... Il me faut remonter, cela fait près de dix minutes déjà que je suis sous l'eau. J'espère qu'elle ne l'a pas remarqué... Je pourrai bien sûr toujours prétendre qu'elle se trompe, bien sûr... Je verrai si d'aventure elle tente de me confronter un jour.

A la surface je fais semblant de reprendre une grande goulée d'air... qu'est-ce qu'il ne faut pas faire pour les apparences. Je m'approche du bord du bassin en surface et je m'appuie sur le rebord pensif, cette partie aussi est accessible au public mais beaucoup de visiteurs préfèrent regarder sous la surface lorsqu'il n'y a pas de présentation ou de nourrissage public. Actuellement les lieux sont presque déserts. Je vois un couple... et trois jeunes filles qui se promènent en riant. Moi j'attends, pour l'heure je n'ai pas envie de sortir de l'eau.

Je sens une pression répétée dans mon dos, je me retourne pour me trouver nez à nez avec la doyenne du bassin. Je souris en lui frottant son immense nez. Ne prêtant plus attention aux allées et venues des visiteurs autour de moi. Ici l'aquarium nous n'avions que trois requins-baleines dans le cadre d'un plan de sauvegarde, deux femelles et un mâle... Dans le futur... nous aimerions tellement pouvoir les faire reproduire et qui sait... repeupler l'océan si tant était que cette ville étrange le permette...

La voix pourtant douce de la jeune femme me fait sursauter et mon mouvement effraye un instant l’énorme mastodonte qui me fait face. Le requin-baleine a levé brusquement la tête, me faisant en un instant plonger sous la surface de l'eau. Je respire un grand coup l'eau a plein poumon avant de remonter et cette fois de faire face à celle qui m'a interpellé. Le requin-baleine lui, nous regarde juste d'un drôle d'air à courte distance. Je crois qu'il n'a pas aimé que je ne sois pas doux.

« Mademoiselle, en quoi puis-je vous aider ? »

Je prends mon air le plus naturel et avenant possible alors que l'eau coule de mes cheveux en partie sur mon visage. L'air de rien j'écarte quelques mèches afin que l'eau ne me gène pas et je lui souris. Ce n'est pas vraiment de sa faute si j'ai été oublieux un trop long instant de mon environnement. Je sais que je n'aurai pas dû relâcher mon attention.

Sa question me laisse presque sans voix. Elle vient me trouver, moi qui suit au coeur d'un bassin pour un problème... d'abonnement ? Parfois je crois que je ne comprendrai jamais les humains. Elle m'aurait demandé de se joindre à moi que j'aurai été bien moins surpris et moins... dégouté ? Humme non dégouté n'était pas vraiment le mot. Elle m'avait dérouté. Elle disait aimer l'endroit et m'avait pourtant semblée si triviale... J'avoue que je ne parvenais pas vraiment à cerner cette petite humaine. Décidément c'était le deuxième humain que je rencontrais ici qui semblait sortir de l'ordinaire...

« L'eau est berceau de la vie, c'est peut-être pour cela que vous vous sentez si proche de cet endroit. Je crois que je vois ce que vous voulez dire car je ne me sens jamais plus proche de chez moi que lorsque je suis dans l'eau même si j'avoue que je la préfère sauvage à celle d'un bassin »

Je lui souris et je suis doux dans mes paroles car qui aime l'océan et ses habitants ne peut être complètement mauvais. Je suis peut-être trop sur mes gardes avec elle parce qu'elle ma surpris. Je ne devrai sans doute pas avoir un caractère si revêche... Je me demande ce que dirait Athéna si elle me voyait me tenir aussi bien, nous qui nous sommes tellement disputés le monde autrefois. Je crois que les siècles m'ont assagi finalement.

« Il existe en effet des abonnements mais je pense que vous trouverez plus de détails aux caisses... Comme vous pouvez le voir, je ne peux pas dissimuler grand chose sur moi »

Cette fois je la taquine ouvertement, je me demande si le rouge aux joues ne lui donnerait pas encore plus de charme en réponse à sa superbe chevelure de feu. Elle me rappelle une petite fille d'autrefois qui un jour a voulu devenir humaine pour finir courant d'air.

Je crains que mon attitude face à sa question incongrue ne l'est blessée. Je pense que beaucoup d'humains veulent qu'on leur serve le monde sur un plateau et que je n'ai pu lui donner aucun élément immédiatement semble l'avoir dérangée. Je soupire intérieurement afin de ne pas montrer mon ressenti.

« Retourner à l'eau ? Etiez-vous une habitante des mondes sous-marins ? »

Cette question, je n'aurai peut-être pas dû lui poser. Après tout je suis un inconnu pour cette jeune femme. Je n'ai aucun droit de lui demander son passé, d'où elle vient... Mais ses paroles m'ont interpellées comme un écho que je ne peux oublier.

« Je vous en prie, je suis désolé de ne pas avoir pu vous aider »

Je la regarde s'éloigner quelque peu, regarder les bassins, hésiter, faire demi-tour et s'arrêter. Trop tard cependant pour éviter un enfant surexcité poursuivi par une mère somme toute dépassée. Je n'ai pas le temps de prononcer mon avertissement... Trop tard, la barrière mal fermée s'ouvre brusquement sous la pression et je la vois presque au ralenti tomber dans l'eau du bassin où je me trouve... Je nage vers elle, prêt à l'aider et je la soutiens par le bras et je lui demande avec quelque inquiétude :

« Vous allez bien mademoiselle ? »

Elle est trempée, tout simplement trempée... Je ne sais pas si elle a bu la tasse mais je me demande si elle va se mettre à hurler comme les harpies des temps jadis ou devenir plus rouge que l'écarlate. Une chose est sûre, elle ne peut rester ainsi. Je vois la mère tirer violemment son bambin par le bras et disparaître au détour d'un coude d'un couloir... Elle hurle et son enfant pleure... Déjà des gens se rassemblent, commentent... certains prennent des photos et moi je sors de l'eau, portant la demoiselle dans mes bras telle une nymphe sortie des eaux. Etape 1 : lui trouver un essuie et de quoi se changer... Le reste viendrait après.

« Je suis vraiment désolé mademoiselle, nous allons essayer d'arranger cela »

Elle n'a pas tord... Je pense que du temps où j'étais un dieu je n'aurai pas été si clément... Mais ici, en cet instant, à l'échelle presque humaine, je ne pouvais pas faire grand chose si ce n'est la dédommager et l'aider. Cet enfant aurait été parfait en créature marine pourtant... Je souris intérieurement à l'idée de peur que les Humains interprètent mal mes pensées... ou trop bien. Ne plus avoir son rejeton aurait peut-être aidé cette mère dépourvue de rênes.

« Malheureusement parfois certains parents ne peuvent rien contre le désir de leur enfant »

J'étais pourtant d'accord avec elle que dans cette situation précise l'enfant n'aurait jamais dû avoir voie au chapitre. Dans d'autres circonstances cependant c'était discutable... Je me rappelle d'un père autrefois trop strict dans le but unique de protéger sa fille. Il avait fini par la perdre alors qu'il aurait pu tout changer si seulement il avait accepté ne serait-ce qu'un instant de l'écouter. Les humains de mémoire en avait même fait un conte...

« Ondi... mais »

La surprise s'est peinte sur mon visage l'espace d'un instant. Voila pourquoi ces souvenirs sont revenus en moi. La réalité faisait soudainement écho à mes pensées. Cette demoiselle portant la chevelure de ma joueuse et joyeuse petite fille était... ma petite fille. La façon dont elle venait de se confier à moi me faisait penser qu'elle était aussi insouciante qu'à l'époque... Une insouciance qui avait fini par causer sa perte. Devais-je lui confier moi aussi mon identité du passé ? Lui dire que qu'elle n'était, quelque part, pas totalement seule ici ?

« Fille de la mer devenue fille de l'air, aujourd'hui réincarnée en son rêve... Intéressant, petit poisson »

Le surnom ne m'avait pas vraiment échappé mais pour l'heure il ne convenait pas de parler plus avant en public. Je la conduisis dans le vestiaire pour lui tendre une grande et moelleuse serviette dédiée habituellement aux visiteurs du parc qui venaient plonger, elle était aux couleurs du parc, bien évidement.

« Je vais tenter de vous trouver des vêtements secs, puis-je connaître votre taille ?  Pour vos effets personnels... Je vous donnerai un formulaire à remplir et nous verrons pour vous dédommager de ce qui peut l'être »

Pour l'heure je ne m'étais pas dévoilé, je cherchais une manière de lui apprendre plus posée... Ou plutôt j'hésitais. Voulais-je vraiment me dévoiler à cet instant ? Je me laisserai le temps d'aller chercher ses vêtements pour décider mais j'imaginais que le surnom que je lui avais donné devait déjà lui avoir donné la puce à l'oreille. On se connaissait... Combien de temps lui faudrait-il pour faire le lien avec le parent que j'étais ?

Étonné... c'est ainsi que je me sentais alors qu'elle commençait à se changer devant moi. Un Humain aurait sans doute dit qu'elle était peu farouche, mais si elle était bien qui elle prétendait, c'était presque normal qu'elle soit encore peu à l'aise avec les conventions sociales humaines... quoi qu'elle avait tout de même vécu un peu sur terre avant de prendre son envol.
Je crois qu'il eut été de bon ton de détourner le regard mais je n'avais jamais dédaigner regarder les belles choses et assurément cette jeune femme à la chevelure de feu possédait des formes bien agréables à l'oeil. Elle me rappelait ma femme, la nymphe Amphitrite. Enfin mon ex-femme aujourd'hui, je le supposais, car je n'avais plus le même corps et qu'elle, je n'avais pas eu vent qu'elle ait posé les pieds dans cet univers.
Il est dit que les dieux ne sont pas très regardants aux liens de sang, j'avoue que je ne peux que le confirmer quand on constate parmi mes pairs des unions entre frères et sœurs, entre cousins... les adultères aussi mais ça... cela fait partie d'autres histoires. Moi-même je ne suis guère irréprochable, je le sais.

« J'imagine, les mesures anciennes étaient plus faciles. On faisait les vêtements sur-mesure et on ne demandait pas aux Hommes d'entrer dans des moules »

Je vois le carnet qu'elle griffonnait détrempé. Ses œuvres et ses écrits sont très certainement perdus et malheureusement cela fait partie des choses que je ne peux lui restaurer. Je m'en retrouve fort marri mais je ne suis pas maître du temps, je ne peux faire que les événements ne se soient pas produits.

« Je suis désolé pour vos dessins »

Elle a beau dire que ce n'est pas important, je sais combien cela peut-être frustrant de perdre ses œuvres. Personnellement je sais que j'aurai senti en moi une profonde meurtrissure si cela m'était arrivé de cette manière, de la colère aussi sans aucun doute. Contre cet enfant... contre les enfants en général peut-être.

* Je me demande si elle voudrait des enfants *

Je sais que cette pensée parasite ne devrait pas me traverser l'esprit alors que devant moi elle fait la forte. Elle a l'air si jeune et pourtant bien moins que la dernière fois que je l'ai vue, dans un autre univers, dans un autre temps. Ondine... Je n'arrive pas à croire qu'elle est ici à nouveau.
Je pense que si elle est comme moi, la perte de ses dessins doit lui peser fortement et c'est seulement parce qu'elle se change que je ne passe pas la main sur son épaule. Si elle est vraiment Ondine, cela ne l'aurait pas dérangée, je crois.

* Papy...*

Je fais la grimace. Je n'aime pas ce terme. Je préfère Grand-Père. Ainsi je constate que son esprit est encore vif et que sa mémoire est intacte. Je ne pense pas que garder le secret vis-à-vis d'elle m'eut été possible de toute manière. Autrefois... nous n'avions pas des contacts très fréquents mais tout de même... C'est peut-être pour cela qu'elle n'a jamais appelé mon aide et qu'elle est devenue fille de l'air plutôt que d'arpenter la mer et la terre aux côtés de son prince ou de qui elle aurait pu vouloir.

« Mademoiselle Ondine, je vous prie de m'appeler Grand-père si vraiment vous voulez me nommer ainsi mais... évitez cela en public. Ici, pour les Hommes, je ne suis plus ce que j'ai été »

Mon sourire dément la sévérité de mes paroles, et je pense que mon ton contient quelques notes d'amusements aussi. Pour l'heure, je n'étais pas certain que même si je retrouvais ma puissance d'antan, que je serai encore là pour les Hommes alors que ceux-ci m'avaient si facilement bannis de leur vie, que je n'avais plus été qu'une légende, une belle histoire, un mythe. Mais pour elle... Je pouvais peut-être être là, enfin.

« Je vais essayer de vous... de te trouver des vêtements. Comment t'appelle-t-on dans ce monde ? »

La main sur la porte des vestiaires, j'attends sa réponse. Son essuie glisse un peu et je vois son téton bien visible et le galbe de son sein blanc. Mon regard glisse sur elle et tente de rester sur son visage et la naissance de ses clavicules.

Je me souviens des temps anciens où les océans étaient miens et où elle vivait aux côtés de son père et de ses sœurs. Jamais elle n'a osé lui parler, ou plutôt je ne pense qu'elle ne savait pas comment lui parler. Quant à moi, je n'étais pas souvent là, toujours quelque part de part le monde... Elle m'avait apprécié. Plus que son père sans doute, mais à la fin, elle avait été seule. Même ses sœurs n'avaient rien pu faire. La vie est faite de choix et je n'étais pas certain qu'elle ait toujours fait les bons. Comme nous tous, elle avait fait ses essais et ses erreurs.

Je souris quand elle me répondit. Comme avant elle faisait semblant de comprendre uniquement ce qui l'arrangeait, choisissant les règles qu'elle tenait à respecter. Son père souvent lui disait de ne pas s'en aller par monts et par vaux et cela ne l'avait jamais arrêtée. C'est ainsi qu'elle avait rencontré son prince, qu'elle était tombée amoureuse et... la fin que l'on connaît à cette histoire. Combien de fois ne l'avais-je pas trouvée dans les jardins sous-marins de mon palais espérant que j'allais rentrer ? J'avais parfois servi de tampon entre son père et elle. Malheureusement cette fois-là, elle n'avait pas eu l'ombre d'une pensée pour moi.

« Grand-père en privé, jamais papy et quant au public, je suis connu ici sous l'identité d'Alessandro Thelxinoé, propriétaire et gérant du grand aquarium de la ville et du parc zoologique. Tu pourrais peut-être m'appeler Alessandro ? Ou Aless ? Certains humains m'ont appelé ainsi, ils ont aussi utilisé Alex... Il paraît qu'on peut utiliser aussi Sandro, je l'ai lu quelque part  »

Sur ces dernières paroles je parti en boutique lui choisir une robe qu'elle pourrait porter. Il y en avait bien sûr des bien plus kitch que d'autres. De celles que les touristes affectionnaient particulièrement à ramener chez eux pour offrir... et puis il y en avait quelques une que je trouvais acceptables. C'est là que j'en pris une de taille M avant de revenir retrouver ma petite fille d'âme au sein de mon bureau.

Spoiler:

« Ondine, Maëllis ? J'ai trouvé quelque chose qui pourrait faire l'affaire dans la boutique  »

Je lui tendis la robe, espérant qu'elle ne ferait pas la grimace. Je n'avais pas beaucoup d'autres choix à lui proposer, j'avais pris celle qui, je le pensais, lui plairait le mieux. J'espère qu'elle ferait faute de fortune, bon cœur.

« Tu as un travail dans ce monde ? Es-tu... es-tu heureuse ici ?  »

Papy, elle a recommencé et je sens ma paupière tressauter un instant. Visiblement telle une enfant elle est bien décidée, me semble-t-il, à me tester. Je me demande moi aussi jusqu'à quel point je pourrai être clément avec elle. J'avoue que je n'avais pas vraiment prévu de me retrouver face à des gens de mon passé. Je savais pourtant que je devrais m'y attendre et j'ai quelque part de la chance qu'elle soit une membre plutôt positive de ma famille plutôt qu'une ennemie.

« J'ai tenté de prendre la plus classique possible mais c'est un lieu touristique et... enfin »

Je lui fais un petit sourire pour lui indiquer oh combien je trouve certains des produits que nous vendons en boutique kitchs. Pourtant étrangement ce sont souvent ces derniers qui sont le plus prisés, comme si les gens faisaient des concours pour ramener l'objet le plus horrible ou le plus inutile à la maison, ou pire, à offrir en cadeau.

« Je pensais ne plus jamais te revoir quand tu as rejoins les filles de l'air. Je suis heureux que tu sois là, tu méritais d'avoir une autre chance  »

Elle n'avait pas eu beaucoup de chance dans sa première vie, et même si elle avait fait des erreurs, je ne pensais pas qu'elle devait le payer de sa vie. Elle était si jeune... Les erreurs de jugement étaient propres à son âge... et malheureusement les siennes l'avait menée sur le chemin de la mort plus rapidement qu'un cheval au galop. Si j'avais pu à l'époque la sauver, sans doute l'aurais-je fait, mais à ce moment-là, j'ignorais tout de sa situation et lorsque je l'appris, il était déjà trop tard. Même un dieu ne pouvait ramener à la vie une morte... si ce n'est Hadès, bien sûr.

« Serveuse n'est pas un métier facile, j'imagine que tu ne comptes pas tes heures, comment est ton patron ? Il est gentil avec toi ?  »

Les bars... Lieux de rencontre, lieux de vie de la nuit. Se laisserait-elle à nouveau bercer par les sirènes illusoires d'un homme ? J'espérais que cette fois elle ne s'arrêterait pas à une apparence pour suivre un être dont elle ne savait rien et qui pourtant était devenu tout pour elle en l'espace d'un instant. Elle avait grandi physiquement et j'espérais également qu'elle avait appris... Cette fois cependant elle ne serait plus seule. Je serai là, quelque part, à ses côtés.

« Cela fait longtemps que tu t'es réveillée ici ? Tu te souviens de ton... chemin ? »

« Deux ans, tout comme moi, et pourtant jamais nous ne sommes croisés  »

Comme si le Destin s'était joué de nous jusqu'à ce jour. Une manière de s'amuser pour les puissants qui nous regardaient ? Peut-être. Je n'avais pas encore déterminé ce que nous faisons vraiment dans cet univers et j'ignorais si je le découvrirai un jour. Deux ans. Une éternité et pourtant un temps bien cours au regard de ma longévité.

Nous n'avions pas eu le même parcours pour arriver ici et la pensée que c'était peut-être lié à notre différence de départ vint à mon esprit. Était-ce là ce qui séparait un dieu d'une sirène? Cette théorie sonnait faux... Chaque individu qui se réveillait ici semblait avoir eu un parcours différent. Pourquoi avait-elle, elle, été livrée à elle-même et avait eu besoin d'aide alors que moi je n'en avais jamais demandé ? Étais-je titulaire d'une faveur dont je n'avais nulle conscience ?

« De tout temps les hommes n'ont su se tenir face aux serveuses et aux servantes... Es-tu vraiment certaine de vouloir rester à cette place ?  »

De princesse, elle était devenue serveuse des puissants mais dans mon souvenir jamais elle n'avait joué de son sang pour obtenir quelques privilèges. Peut-être était-elle simplement heureuse de vivre une vie normale libérée du joug de son père ? J'imaginais toutefois que ses sœurs devaient lui manquer... Était-elle vraiment la seule à s'être réincarnée dans ce monde ? Je l'ignorais mais elle était en tout cas la seule que j'avais rencontré à ce jour.

Cela me faisait penser que j'avais encore de nombreuses places à pourvoir au sein de mes établissements mais sans doute ne voudrait-elle pas profiter d'une faveur de ma part... Autrefois sa vie était entièrement dirigée et elle avait tout fait pour la fuir... Il n'était peut-être pas de bon ton que cette fois, ce soi moi qui tente d'interférer à la manière d'un parent. Je n'avais pas envie qu'elle me déteste. Pensée sans doute un peu stupide pour un ancien dieu...

La voix de ma petite fille sonnait un brin triste alors que j'évoquais notre temps commun dans ce monde et je me fis la réflexion que sa famille avait dû bien plus lui manquer que je ne l'avais imaginé. J'avais toujours pensé qu'elle avait fait le choix de quitter sa famille sans vraiment avoir eu un regard en arrière mais je commençais à changer ma conviction. Je m'étais peut-être trompé. Son choix avait peut-être été pour elle un déchirement. Alors pourquoi avoir choisi cette voie ? La question restait entière en mon esprit.

« Tu as changé Ondine  »

Elle voulait faire le choix de rester avec moi, de demander l'aide d'un membre de sa famille et de quelque part lui être redevable. Je trouvais que c'était un grand changement pour cette fille de l'océan. Oh bien sûr elle était parfois venue me voir pour échapper quelques heures ou quelques jours à son père mais là, la situation était différente.

« Tu l'as peut-être été, ou plutôt tu avais une certaine idée de ce que tu voulais et ce que tu ne voulais pas à l'époque, mais je ne pense pas qu'ici ce soit un caprice  »

Je lui souris tout en l'observant. Elle était jolie et gracieuse... Elle ressemblait presque à une nymphe, à mon ancienne femme... ou à ma femme actuelle. Dans ce monde je ne savais plus trop ce qui était vraiment et ce qui n'était plus.

« Je crois que tu aimes beaucoup cet endroit... J'ai peut-être un poste pour toi. J'imagine que tu n'as pas oublié comment nager ? Nous faisons parfois ici des mises en contact des animaux marins avec les visiteurs et sinon je peux te proposer un poste de soigneuse, à moins que tu ne souhaites uniquement faire caissière ou vendeuse de la boutique. Te connaissant, j'imagine que tu préférerais être en contact avec les autres créatures marines, n'est-ce pas ? Mais... avant tout, il faudrait sans doute que tu contactes ta patronne, si tu l'apprécies tant, pour ... l'informer que tu souhaiterais peut-être partir  »

Je passais une main dans ses cheveux, j'avais l'impression que les années n'avaient pas eu de prises sur notre relation et que la distance, déjà, semblait être de l'ordre du mauvais souvenir. Comme si deux âmes égarées s'étaient enfin retrouvées.

Je souris à ses paroles si maternelles alors qu'elle n'est qu'à l'aube de sa vie par rapport à moi. Je pense que je vais devoir garder un oeil sur elle afin que cette fois, elle ne se fourvoie pas mais j'espère que notre relation ne s'en retrouvera pas entachée comme celle qu'elle avait avec son père. Je me demande si elle regrette d'être partie, si son père lui manque malgré tout car... tout autoritaire qu'il était, il l'aimait et ne voulait pourtant que son bien. Lui aussi a été brisé par le passé... Je me demande si elle l'a compris aujourd'hui.

« Es-tu certaine que c'est toi qui va veiller sur moi et non le contraire ?  »

Une demi-heure sous l'eau c'était à la fois longtemps pour un humain et si peu pour une véritable fille de la mer. C'était en tout cas un début et j'avais au moins la certitude que si elle faisait un minimum attention, la mer ne serait jamais un danger pour elle.

« C'est un début. Ton corps accepte toutes les eaux ? Tu n'es pas restreinte ? Pour commencer... tu peux pour moi commencer quand tu veux, je préparerai ton contrat. Fais moi juste savoir la date à laquelle elle te libérera mais je te confirme. Cela se fait par écrit et par recommandé dans le monde des hommes. C'est bien plus cadenassé ici que dans le monde sous la mer  »

L'avoir ici serait un bon moyen de garder un œil sur elle et de la protéger. Bien sûr je ne serai certainement pas toujours présent mais au moins elle était quelque part sur mes terres. Peut-être même qu'un jour, si elle faisait ses preuves, je pourrai lui déléguer la gérance tout en restant propriétaire de l'endroit. Enfin, j'avais encore le temps de voir. Pour l'heure, je ne lui dirai rien. Mes intentions seraient mon petit secret.

Cela m'étonne qu'en tant que sirène elle est fuit la mer. Fuite oui car je suis certain qu'elle a eu mille occasions de s'y rendre. Craint-elle de redevenir écume si jamais elle osait y reposer le pied ? Ce n'est presque pas naturel pour une sirène de n'avoir jamais essayé de revoir l'océan... Je me demande si elle ne tenterait pas de me couvrir un traumatisme sous le couvert de ne pas alerter les gens sur sa véritable nature.

« La mer ici est étrange, elle n'a pas de fin et pourtant si tes pas t'éloignent du rivage, ils t'y ramènent irrémédiablement. Cet univers semble totalement clos et ne se résumer qu'à cette ville. Je suis étonné que tu n'aies pas tenté de tester tes limites ou ses limites en t'y rendant... Peut-être devrions-nous nous y rendre ensemble ? »

Une manière comme une autre de peut-être la confronter à ce qu'elle pouvait craindre. Si je me trompais, et bien j'en serai fort heureux et ce serait l'occasion pour nous, peut-être, de nous rapprocher et de passer un peu de temps ensemble. J'imaginais que les jours prochains elle serait bien occupée à mettre en ordre ses affaires afin de pouvoir changer d'emploi.

Je la sers dans mes bras en me demandant dans combien de temps je pourrai à nouveau la revoir. Son corps me semble si fin et frêle, elle me parait si fragile que j'aurai envie de la protéger de tout danger. Je comprends pourquoi son père a pu être si protecteur par le passé et j'espère ne pas reproduire avec elle les mêmes erreurs que lui.

« Prends tout le temps dont tu auras besoin petite princesse des mers  »

Je souris et lui fait une petite caresse sur la tête, dérangeant un peu sa crinière rousse et je me détache d'elle doucement pour ne pas la brusquer.

« Nous nous reverrons bientôt... ma chère petite fille. Mais je vais devoir te laisser. Penses-tu savoir continuer ta visite maintenant ou préfères-tu que je te ramène à la sortie ?  »

Je devrais peut-être penser à lui faire faire un laisser-passer pour le temps où elle ne travaillera pas encore ici ?