/HOT\ Zoologie : étude du comportement animal ou décryptage des pensées humaines ?{pv. Hélios Caradja}

Cela faisait trois semaines, peut-être quatre, que je n'avais plus vu le jeune Hélios. Mais à vrai dire je n'avais pas eu trop le temps d'y penser. Je n'avais eu de cesse de courir, de travailler. J'avais eu tant à faire. Pourquoi soudainement était-il revenu à ma pensée ? Peut-être parce qu'un partenaire commercial avait pris une salade au restaurant. Cela m'avait fait sourire, moi qui n'aime pas trop en manger.

Après si longtemps, j'imaginais qu'il me fuyait. Sans doute regrettait-il d'avoir posé ses lèvres sur les miennes après le fiasco du repas. Aurais-je dû répondre à son baiser ? Peut-être bien. Sur le moment, il m'avait surpris par son geste après avoir pris ses distances, et après... Il était trop tard et j'étais partis. Dans ma mémoire, au cours de la soirée, si je ne ne l'avais pas aidé à se relever, je n'avais pourtant pas été si horrible... J'imaginais que les codes humains avaient changés depuis le temps que je m'étais écarté du monde. Cependant lui-même semblait avoir vécu à une époque similaire à la mienne. Je ne comprenais plus. Aurais-je dû le repousser violemment quand il était tombé sur moi plutôt que de poser une main sur sa cuisse ? Aurait-ce été vraiment mieux ? Je n'en étais pas sûr. Comme une impression que quoi que j'aurai pu faire, cela aurait été une erreur.

Un soupire bien audible s'échappa de mes lèvres alors que je replongeais dans la pile de dossiers devant moi. Aujourd'hui, c'était jour de paperasses... et ça allait être bien long. Peut-être devrais-je envisager d'engager une secrétaire ?
Ce qui me faisait penser que je n'avais pas vu le travail d'Hélios... Moi qui avait pensé lui demander de participer à la nouvelle brochure que je comptais produire pour le parc en l'agrémentant de ses photos si elles m'avaient plu. Désormais il allait falloir que je trouve un photographe, ou que je m'y essaie moi-même. Je devais d'ailleurs avoir quelques dossiers à ce sujet dans ma pile à traiter. Un nouveau soupire. Ma pensée dérivait vraiment trop aujourd'hui, j'allais en avoir pour des heures si je continuais ainsi.

Paperasse, paperasse, toujours paperasse. C'est dire si j'accueillais ce coup de téléphone comme un agacement mal-venu. Cette sonnerie m'avait fait sursauter, interrompant brusquement ma réflexion. J'allais encore perdre le fil de mes idées. Étais-je vraiment obligé de répondre ? Je jetais un œil sur le terminal. C'était l'accueil...   J'imaginais déjà un problème avec les caisses, ou une personne mécontente. Je soupirais. Je n'avais vraiment pas envie de traiter un problème de plus en cet instant... mais je décrochais tout de même avec ma voix la plus commerciale possible et même le sourire qui allait de pair.

C'était Lise, une petite jeune qui avait commencé voila quelques mois. Pas des plus fut-fut, mais elle faisait son taf et elle était de présentation agréable. Les gens l'aimaient bien, elle était gentille. Lorsqu'elle m'annonça qu'un jeune homme voulait me voir sans rendez-vous, je tiquais un instant. Je n'étais pas du genre inaccessible, mais j'aimais tout de même qu'on mette les formes. Cela dit, quand j'étais dieu, j'avais l'habitude qu'on vienne me solliciter à mes temples sans prévenir au préalable. Finalement, dans ce monde ou dans l'autre, les choses ne changeaient pas tellement. Elle me parla d'un homme du nom de Caradja. Un nom qui ne me disait absolument rien. D'Hélios, je n'avais jamais connu que le prénom et je ne fis pas le lien car la jeune femme ne le mentionna pas. Elle me parla de photos et je réfléchis distraitement à qui j'avais bien pu en parler. Quelques connaissances de travail, bien sûr et... Hélios. Mais de ce dernier, je n'avais plus eu aucune nouvelle et j'imaginais que cela ne pouvait être lui. Restait l'envoie d'une connaissance... Je regardais à nouveau les dossiers éparpillés devant moi et acceptait que la jeune femme lui indique le chemin pour me trouver, ou plutôt qu'elle demande à un de ses collègues de le guider jusqu'à moi car je n'avais vraiment pas le temps de venir le chercher.

Après avoir raccroché, je commençais à remettre un peu d'ordre dans mon bureau afin d'évacuer et reclasser les dossiers déjà traités puis je tentais de me replonger dans celui en cours tout en attendant ce visiteur importun.

Ce dernier ne se fit, semble-t-il, pas prier, puisqu'il fut devant moi en moins d'un quart d'heure, ou plutôt à ma porte car j'entendis les trois coups frappés très distinctement en me demandant pourquoi la personne, une fois encore, n'avait pas daigné sonner sur la sonnette prévue à cet effet. Je cliquais sur le bouton de déverrouillage et le voyant vert ainsi que le bip caractéristique indiqua que l'on pouvait dès lors franchir la porte de mon univers administratif.

Assis à mon bureau, je posais les yeux sur la porte qui s'ouvrit.

Formel et distant, sur l'instant je fronce les sourcils. J'étais certes parti lors de notre dernière rencontre mais je ne pensais pas que nos relations étaient devenues si froides soudainement. Ce pouvait-il que cela soit à cause de mon employé qui le regardait de manière suspicieuse ? Peut-être. Je n'avais jamais eu à ma connaissance de personne se présentant ainsi et que je recevais sans mot dire. Généralement je prévenais mes employés si j'attendais quelqu'un, ce qui bien entendu n'était pas le cas.

« Monsieur Caradja, oui... asseyez-vous. Firmin, vous pouvez nous laisser, merci »

Firmin, ce jeune homme je ne le connaissais pas vraiment. J'avais retenu son nom simplement car il était noté sur son badge, rien de plus. S'il travaillait bien ? Je n'avais pas souvenir de l'avoir vu un jour travailler. J'imaginais que si je n'avais jusqu'alors eu aucun écho de lui, c'était qu'il convenait à son poste. Lorsqu'il quitta les lieux et que j'entendis son pas décroître dans le couloir, je posais à nouveau mon regard sur le jeune homme qui me faisait face. Il ne semblait pas très à l'aise. Cela pouvait-il être à cause de moi ? Mais alors pourquoi était-il venu me voir ?

Quand il m'offrit des fleurs, je le regardai avec des yeux ronds. J'aurai presque pu penser qu'il était venu me faire la cour mais cela ne me paraissait pas plausible et je cherchais dans mon esprit quelle coutume humaine il avait bien pu chercher à honorer par son geste. Était-ce celle de ne jamais arriver quelque part où on vous invite sans apporter quelque chose ? Peut-être mais s'il venait véritablement dans le cadre commercial, un tel cadeau n'avait pas lieu d'être et je ne comprenais pas bien ses intentions à mon égard.

« Monsieur Caradja, Hélios, j'avoue ne pas comprendre. Que faites-vous ici ? Ces fleurs... c'est très gentil mais, je ne comprends pas »

Je prends le bouquet pour ne pas lui laisser un vent et je le porte un instant à mes narines avant de les reposer sur le bureau faute de vase à portée de main. Ma question n'a aucunement but de le faire fuir ou de le gêner mais j'aimerai vraiment comprendre ses intentions. J'ai l'impression que les photos ne sont qu'un prétexte...mais je peux me tromper. Je me demande s'il va chercher à me fuir ? Si oui, j'ai bien l'intention de le retenir maintenant qu'il est venu de lui-même se perdre dans mon antre.

Je soupire intérieurement. Il ne comprend pas ce que je veux dire et je ne peux pas vraiment lui jeter la pierre car je n'ai pas été des plus clairs. Je l'ai fait exprès, j'aimerai qu'il puisse lire entre les lignes.

« Je ne suis pas sénile Monsieur Hélios, je sais très bien ce j'ai dit. Mais je vous demande ce que vous, vous faites ici »

* Pourquoi es-tu venu me voir après un mois Hélios ? Qu'est-ce que tu attends de moi ?

Je peine à ne pas sourire alors que je le vois se décomposer devant moi et hésiter. Le jeu ne fait que commencer mais je sais que je dois faire attention à tout de même ne pas aller trop loin. Je crois qu'en cet instant, il est comme un petit animal qui prendrait une main tendue pour une tentative de le frapper plutôt que d'une future caresse.

« Ainsi vous vouliez me revoir ? »

Je souris franchement cette fois tant pour le rassurer que parce que je ne peux me retenir. Je ne compte pas le garder mal à l'aise plus longtemps de toute manière.

« Intéressant »

Je baisse le regard sur ma pile de dossiers et sur le calendrier. Ma foi je devais travailler aujourd'hui mais je pourrai encore terminer demain... Peut-être en y passant une partie de la nuit en prime mais ça, je n'allais pas lui dire.

« Nous allons sortir, Monsieur Hélios »

Je me lève de ma chaise et je m'approche de lui avant de me pencher à son oreille et de lui murmurer en la lui frôlant.

« Détendez-vous, on dirait que vous avez fait pipi sur le pilier d'un temple déiste »

« Un si bel homme que moi ? Vous êtes un vile flatteur »

Je regarde le jeune homme, puis les fleurs. Je suis hésitant. Je ne peux décemment les laisser là mais je n'ai pas de vase au travail. Je regarde autour de moi et avise une bouteille d'eau à moitié vide. Cela ferait, à mon sens, l'affaire.

« Un instant, s'il vous plait »

Je sais que je viens de lui dire que nous allions sortir et c'est peut-être étrange que soudainement je lui demande d'attendre. J'aurai peut-être dû procéder dans un autre ordre et je m'en rends parfaitement compte. Il est cependant impossible pour moi de remonter le temps et il faudra donc au jeune homme à faire avec. Je le contourne et il en faut de peu pour que je ne le frôle mais j'arrive à garder juste ce qu'il faut de distance pour qu'il ne puisse que sentir le déplacement de l'air sur sa peau. Dans mon tiroir je m'empare d'un cutter et d'un geste sûr, j'ôte le haut de la bouteille afin de faire un vase de fortune où je place les fleurs.

« Ainsi elles tiendront plus longtemps »

Je me relève de la chaise où je m'étais posé afin de réaliser mon bricolage de fortune et je m'avance à nouveau vers le jeune homme.

« J'espère que je n'ai pas été trop long »

J'avais envie de le toucher, je me sentais d'humeur tactile en cet instant mais je m'en abstient bien évidemment. Tout dieu que j'avais été, je savais tout de même me retenir et agir en homme. Du moins, je l'espérais.
Le parc n'allait pas fermer dans les prochaines heures et il était peut-être un peu tôt pour faire des photos correctes. Je me demandais si je n'allais pas d'abord lui faire faire un petit tour en ma compagnie et l'inviter à manger quelque chose. Nous pourrions ensuite parler un peu et je pourrai sans doute voir ses œuvres à ce moment-là.

« Vous n'êtes jamais venu ici, Monsieur Hélios ? »

Rien à faire j'avais vraiment du mal avec les noms de famille, d'ailleurs le sien m'était déjà sorti de l'esprit... J'espérais qu'il n'allait pas en prendre ombrage mais je risquais de longtemps l'appeler Monsieur Hélios s'il ne me corrigeait pas.

Je le guidais dans les allées et nous arrivâmes assez rapidement à la volière aux oiseaux tropicaux. Quelques personnes s'y trouvaient mais on était bien loin de l'affluence des week-ends, c'était plutôt agréable. La température dans cette volière et l'humidité de l'air contrastait assez violement avec l'extérieur en cette fin de saison automnale. Je me demandais si le jeune homme allait ouvrir sa veste... aurait-il... trop chaud ici ?

Je le vois tout observer et prendre des notes consciencieusement. Tellement concentré et professionnel que je me demande si je n'ai pas rêvé ses rougissements lors de notre deuxième rencontre. J'ai l'impression qu'il n'est là que pour un travail et non pour me revoir comme il l'a prétendu. Dois-je continuer à jouer pour le faire céder ou juste le laisser tracer son propre chemin ? Je ne sais.

« Hélios, je prends note »

Dis-je dans un sourire avant d'ajouter simplement :

« Vous pouvez m'appeler Alessandro »

J'ai failli lui dire de m'appeler Poséidon et si je n'avais réfléchis à mes paroles, je l'aurai sans doute fait. Heureusement dans mon ton, pas même une hésitation n'était perceptible. Je ne suis pas certain qu'il aurait bien réagi étant donné qu'il m'a dit penser que les dieux l'avaient abandonnés... J'avoue que sur cette idée, je suis loin de le rejoindre.

« Ce n'est pas le lieu le plus impressionnant mais pour entrer dans les enclos des fauves et des créatures d'importance, nous ferions mieux d'attendre la fermeture du parc. J'imagine que de toute manière vous n'avez pas tout votre matériel avec vous aujourd'hui, si ? »

Il me regarde et je le regarde. J'ai l'impression qu'il y a une certaine tension entre nous mais je me demande si je ne me fais pas des idées. Allant vers une armoire, je tape un code et je prépare quelques petits godets de substance sucrée. Quelques visiteurs s'approchent de moi et je leur en donne avant de refermer la porte de l'armoire et d'aller vers mon...invité ?

« Tenez, prenez ça, Hélios »

Son nom a roulé dans ma bouche comme une caresse. Avec un petit sourire, je monte un peu le godet au dessus de ma tête pour attirer les oiseaux puis je le rabaisse à hauteur de mon ventre. Bien vite trois d'entre eux approchent de moi, deux se perchent sur mon bras et un colibri suçote le produit tout en restant en vol stationnaire devant moi.

« Le privilège des soigneurs... on a accès aux appâts »

* Et toi, Hélios, qu'est-ce qui te fait vibrer ? *

Je ne sais pourquoi mais Hélios ne cesse de m'observer comme s'il était plus fasciné par moi que par les oiseaux de cet endroit. S'en rend-il seulement compte ? Je souris et je fais semblant de rien. Je me demande si ce jeune homme qui semble si timide va faire le premier pas vers moi. Ce serait peut-être une expérience intéressante.

« On entre rarement dans mon bureau sans s'annoncer, je pense que tout ton matériel sera en sécurité dans mon bureau »

J'avais pensé attendre mais je n'avais pas pu résister. L'oiseau qui s'amusait dans ses cheveux ne semblait pas le déranger et je passais derrière lui en le frôlant plus par jeu que par nécessaire utilité.

« Il va bientôt être l'heure du nourrissage des lémuriens, si ça vous tente Hélios... avant nous avons même le temps de passer par la crypte des chauve-souris si vous le désirez. J'imagine que pour un tel endroit il vous faudra des objectifs particuliers. Souvent les visiteurs n'arrivent pas à faire de belles photos là bas étant donné que les flash sont interdits. Ainsi on pourrait faire des cartes postales-souvenirs »

La crypte des chauves-souris, un endroit pas tout à fait noir mais assez sombre et recelant de nombreux recoins. un lieu intéressant et... avec un peu de chance, Hélios serait effrayé par l'un ou l'autre décollage ou frottement. Le fait que je voulais en profiter ne faisait pas de moi quelqu'un de mauvais, n'est-ce pas ?

« Le parc recèle de nombreux secrets, mais ils ne sont pas tous découvrables en un jour »

J'hoche la tête et je le guide vers le sas alors que les oiseaux retournent à leurs occupations, faute de nourriture dans les godets que nous tenions. J'imagine qu'aujourd'hui, il ne compte pas faire beaucoup de photos étant donné que son matériel est resté dans mon bureau et nous devons encore discuter du prix. Mais pour l'heure je n'ai pas vraiment envie de parler d'argent.

Nous déambulons dans les allées du parc, nous arrêtant relativement peu pour observer par manque de temps si nous voulions ensuite assister au nourrissage des lémuriens. Personnellement c'était un de mes lieux préféré avec la crypte mais il n'avait pas semblé très enthousiaste par ma première suggestions. Je me demandait quel animal pourrait être son préféré ici. Une loutre ? Les éléphants ? ou les girafes, peut-être.

« Je l'espère... »

J'avais laissé échappé un tutoiement un peu plus tôt et j'étais ensuite repassé au vouvoiement, hésitant sans le vouloir, oscillant entre les deux possibilités de langage. Il m'avait dit que je pouvais le nommer par son prénom, il n'avait pas parlé de plus... mais j'avais en tête du plus, justement.

En moins d'une dizaine de minutes, nous arrivâmes à un petit chemin étroit entourés de vignes. C'était le passage vers la crypte de l'ancienne abbaye, lieu où nous avions notre clan de Chauves-souris. Initialement les premières d'entre elles s'étaient établies seules ici et avaient eu l'accès à l'extérieur et puis... nous avions dû faire des choix, pour les protéger. Aujourd'hui nous avions même quelques spécimens des plus rares.

« Vous ne craignez pas les mini-vampires, n'est-ce pas, Hélios ? »

Je souris et me place quelque peu sur le côté pour le laisser me précéder. Certainement l'occasion pour moi d'avoir une belle vue.

« Après vous »

La crypte est un endroit que j’affectionne particulièrement. Je suis un peu déçu cependant qu’il n’ait pas montré un enthousiasme débordant à l’idée de nous rendre ensuite sur l’île des Lémuriens. J’aime vraiment beaucoup le contact avec ces petites créatures et leur nourrissage est sans doute l’un de mes moments favoris lorsque j’ai un peu de temps.
Peut-être ne sait-il pas oh combien ces petites créatures peuvent se montrer adorables avec qui leur rend visite avec de la nourriture ? Il me tarderait presque de le lui montrer mais avant… il y a la crypte.

C’est un lieu dont je suis assez fier du rendu… en sortie quelques trésors sont à observer ainsi que quelques autres créatures que certains pourraient qualifier de sombres.

Passé le petit sas, trois marches sont présentes de part et d’autres d’une petite esplanade dotée d’une barrière. Ainsi le chemin de ronde, si je peux dire, fais le tour en longeant les murs. Au centre de lourdes chaines médiévales aménagent un espace pour les chauves-souris, leur nourriture et les éventuels soigneurs qui viennent présenter les lieux lors des activités. Tout autour, de larges piliers dotés de cordes suspendues et le longs des murs quelques fausses torches tant pour donner une ambiance quelque peu médiévale que pour permettre que les visiteurs non-dotés d’ultrasons puissent se déplacer sans trop de peine. Tout cependant ici est dans la pénombre.

Quelques chauves-souris sont perchées le long des cordes, la tête en bas, j’en vois une de grande envergure qui se déplace le long d’une pour semble-t-il rejoindre une comparse de moindre taille. Soudainement l’une décolle et frôle les cheveux de mon invité.
Son cri strident me fait me fait sursauter. J'aurai presque pu penser à une jeune fille en détresse des temps jadis. Je n'ai pas eu le temps de réaliser et le voila qui se retrouve au sein de mes bras, la tête enfouie dans mon torse.

«  Je croyais que vous trouviez ces créatures fascinantes ? »

Je souris, amusé. Tout le monde s’est retourné vers nous, ou plutôt vers la source du cri et l’agitation qui a suivi n’en a que plus attiré la curiosité des foules. Pourtant en cet instant, je ne trouve pas cela d’importance et je passe maladroitement mes mains dans le dos du jeune homme. D’une main je lui caresse le dos. Je ne peux pas dire que de l'avoir serré contre moi ne me plait pas.

« Ça va aller Hélios, tout va bien »

Je n’allais peut-être pas tout de suite lui dire que nous avions une chauve-souris vampire. Enfin elle n’était pas dans la pièce principale accessible au public de peur des incidents. J’imaginais un enfant avec une plaie ouverte après être tombé, la chauve-souris décidant de l’emmener ou juste de suçoter sa plaie… Ce n’était pas de l’ordre de ce qu’un parent pouvait accepter.

Des murmures, un brouhaha ambiant, les gens finirent par presque se désintéresser de nous. Le fait que deux hommes se tenaient serrés restant tout de même une chose qui faisait jaser alors pourtant que nous ne faisions rien de mal.

Une jeune femme poussa un petit cri et se mit à frotter vivement son décolleté. Fiente de chauve-souris ou simple goutte d’humidité ? Dans cette pénombre je n’étais pas certain qu’elle puisse faire la différence et malgré moi je rigolais silencieusement. Hélios ainsi serré contre moi devait certainement le sentir et j’espérais qu’il ne penserait pas que j’étais entrain de me moquer de lui.

Cet endroit faisait un peu penser à une grotte, la crypte parfaite et c’était sans doute pour cela qu’initialement une colonie de chauve-souris s’était établie en ces lieux. Ici la fraicheur était bien heureuse en été mais il subsistait une humidité ambiante qui faisait friser certains types de cheveux.

« Voulez-vous que nous sortions ? »

Prendre des notes ? Je n'ai pas l'impression qu'il en prenne en cet instant mais je ne le lui fais pas remarquer. En deux ans je n'ai pas vraiment eu beaucoup de rapprochements de ce genre avec des gens. J'ai l'impression qu'ici, les gens hésitent à s'attacher de peur que leur vie leur soit à nouveau arrachée. Ou alors il faut s'intéresser à ces reflets, ces fantômes étranges et sans saveur qui ne prennent vie que lorsqu'on les regarde et qu'on s'y intéresse.

Il s’attarde dans mes bras et je me demande pourquoi, ce qu'il attend. Ses mots ne suivent pas ses actes et j'avoue que je me demande un peu si j'ai perdu la faculté de comprendre les humains ou si c'est juste celui-ci que je ne comprends pas.

C'est alors que je sens soudainement ses lèvres sur les miennes, comme ça, sans signe avant coureur, juste comme si c'était normal. Je n'ai pas le temps de réagir que déjà il s'est écarté.
Qu'il soit jeune ne me pose aucun problème, j'ai vécu à une époque où les enfants d'aujourd'hui étaient déjà considérés comme des hommes, mais... Je suis perdu. S'est-il attaché à moi en si peu de temps ? Est-ce une pulsion d'adolescent ? Je ne sais pas ce qu'il cherche, coup d'un soir ou une histoire. Je ne sais même pas son âge en vérité mais j'ai cru comprendre qu'il était encore aux études. Je lui donne entre quinze et vingt ans.

Les murmures s'intensifient, je crois que certains reflets sont choqués à moins que ce ne soit des vrais gens. La société a beau crier s'être ouverte, avoir évolué ou que sais-je, moi je sais qu'à l'époque qu'un jeune homme embrasse un homme ne choquait personne en Grèce, aujourd'hui par contre... Je ne pense pas que les mœurs ont vraiment évoluées mais elles ont changés oui et non en bien.

Sa demande... garder ma main dans la sienne car il aurait une mauvaise vision ? Je n'ai jamais entendu une chose aussi ridicule, je suis presque certain que ce ne sont que des histoires et avec un visage des plus sérieux je dégage gentiment ma main. Attendant une micro-seconde pour le faire stresser mais pas trop je demande d'une voix presque trop doucereuse.

«  Que croyez-vous avoir fait, Monsieur Hélios ? »

Toujours sérieux, je prends en coupe son visage dans ma main et caresse un instant sa joue avant de me rapprocher et de lui prendre un baiser, volontaire, impérieux, dominant.
Lorsque j'arrête notre baiser, je vois ses lèvres gonflées... Irrésistible.

« Ce n'était pas assez »

Que m'importe la morale de cette époque ou son âge, mais je me demande si lui se rend compte de notre différence... Je me demande s'il saura assumer ses choix dans un monde qui est bien différent de celui qu'il a connu. Ici cela beau être ailleurs, les mentalités ne sont plus celles de l'Antiquité. J'espère juste qu'il sait ce qu'il fait, qu'il ne va pas regretter. Et si cela ne devait être que pour une fois, je veux que ce soit sa meilleure fois.

Les rumeurs sont devenues rages et un reflet est devenu bien plus consistant que les autres. L'archétype de la femme homophobe et son mouflet au nez morveux... Elle nous regarde de manière des plus haineuses et la voilà qui vient vers nous.

Une petite dame bien sous tout rapport, je l'avais tout de suite remarquée. Douce, éduquée, polie et tellement avenante. Elle en semblait magique.

Ainsi nous étions des porcs qui brûleraient en enfer ? Il était certain que la viande humaine une fois chauffée en avait l'odeur, mais tout de même... Tellement elle était ridicule, j'avais envie de rire.
Tout le monde nous regardait désormais et les chauves-souris étaient passées au second plan. En fait personne ne se souciait plus des créatures qu'ils étaient venus voir, ils avaient maintenant un spectacle gratuit, une animation sans précédant. Les cris de la banshee dérangeaient les créatures de la nuit, je pinçais les lèvres.

J'aurai pu passer mon chemin, l'ignorer et la laisser pour ce qu'elle était. Elle avait pour moi autant de valeur que la fiente de mes chauves-souris, et encore... Mais il en était autrement d'Hélios... Il n'avait certainement pas l'habitude d'être traité ainsi, et du haut de son jeune âge... pas plus la patience de ce genre de décérébrée. Je le vis trembler, mais pas de peur, plutôt de rage. Il était blessé, ou furieux, à moins que ce ne fusse un peu des deux. J'avais vu son regard se faire joie lorsque j'avais fondu sur ses lèvres plutôt que d'éteindre ses ardeurs. Je ne voyais que la colère à présent. Ses paroles en furent le reflet parfait...

Je ne m'étais pas attendu à ce que ces mots franchissent ses lèvres que je pensais oh combien plus délicates. Il ne m'avait pas habitué à si peu d'égards en vérité... J'étais si proche de lui, je ne pus manquer l'amorce de son mouvement malgré sa rapidité et je n'eus le temps que d'interposer mon bras. La douleur vive fut ma récompense, je ne pus manquer de laisser échapper le son de ma douleur même si je fis tout pour l'étouffer. Je passais le bras autour de mon compagnon et le tirait vers moi avant de lui dire à voix basse :

«  Nous allons nous en aller, maintenant »

Mon dernier mot était insistant, plus fort, un ordre impérieux. Je n'avais pas envie d'esclandre, pas ici. Que cette femme connaisse mon statut n'était pas vraiment une surprise. Une visiteuse réelle n'aurait pas su me définir comme le directeur de cet endroit, sans doute, mais cette dame n'était pas réelle, c'était un fantôme, un reflet bien trop consistant. Elle avait en elle des données qu'elle n'aurait sans doute pas dû connaître. Je rassemblai l'humidité ambiante au dessus d'elle sans que cela ne se remarque vraiment et je la fis bouillir. Lorsque je tournai les talons, entrainant Hélios avec moi, nous avions à peine passé le sas que nous entendîmes un grand cri... l'eau bouillante venait de lui tomber dessus... La trempant autant qu'elle la réchauffai un peu, à défaut de réchauffer son cœur.

Hélios me repousse et je vois la défiance et les larmes dans ses yeux. Je pense qu'il n'a pas compris mon geste, ni mon attitude. Je suis plus âgé que lui, tellement plus âgé, et c'est peut-être pour cela que j'ai la capacité de prendre sur moi. Je ne suis pourtant pas resté sans rien faire, et même si c'est une moindre mesure, je pense que je l'ai empêché ainsi d'avoir des ennuis. Le protéger lui n'était-il pas le plus important ?
Mon bras me fait mal, mais il a évité une plainte... peut-être même la prison. Un bras se guérit, une casier judiciaire ne s'oublie pas aussi facilement.

«  Pour te protéger »

J'ai failli lui dire ' c'est bon, tu as fini ? ', car son attitude me blesse plus que l'attitude de cette femme. Ce manque de confiance en moi, ce jugement direct. Je vois en lui toute la rébellion de son âge, son impulsivité, sa rage. Peut-être finalement est-ce mieux qu'elle soit dirigée contre moi que contre cette dame...
Mais je n'ai fait que lui dire ces trois mots : ' pour te protéger ', même s'il ne comprend pas, même s'il doute, c'est la vérité.

«  Qu'est-ce que cela aurai changé ? Aurait-elle changé d'attitude avec des insultes ou est-ce que cela n'aurait que confirmé ses apriori ? Il y a une différence entre ce que l'on pense et la manière dont on agit Hélios. J'ai voulu te protéger toi contre une plainte de sa part, une agression physique est punissable. Ses paroles le sont tout autant. Tout ce qu'elle cherchait c'est à nous blesser, à te blesser et que tu t'en prennes à elle pour confirmer ses dires. Ce que tu as fait... Tu dis que je n'ai rien fait... Mais ce n'est pas le cas, j'ai d'abord pensé à te préserver... et... elle a eu sa punition. Tu ne m'as pas laissé le temps de t'expliquer. Il faut parfois laisser le temps au temps, demander avant d'exploser »

* Comme elle au final, tu m'as jugé directement *

«  Hélios, regarde moi »

Je pose ma main sur sa joue avec une extrême douceur de peur qu'il se dégage et me repousse à nouveau.

«  Est-ce que tu penses vraiment que je t'aurai embrassé si je partageais ses pensées, si je pensais que tu étais d'une quelconque manière un monstre ou un dépravé ? Penses-tu sincèrement que je ferai ceci ? »

Je me rapproche à nouveau et je dépose le plus doucement et le plus lentement possible mes lèvres sur les siennes au cas où il refuserait mon contact, au cas où finalement il préférerait reprendre ses distances. Je pense qu'il serait temps que je lui montre quelque chose... à commencer par la vidéo de la crypte... avec quelques explications, peut-être que cela lui ferait du bien... J'imagine qu'il est un peu temps que je lui dévoile que je suis un peu plus qu'un humain normal même s'il n'est peut-être pas encore temps que je lui dise qui je suis vraiment.