Expériences Aquatiques {pv. Hélios Caradja}

« Il y a trois sortes d'hommes : les Vivants, les Morts, et ceux qui vont sur la Mer » disait Aristode, et qu'en est-il de ceux qui vont sous la Mer ? Je souris en regardant les vagues venir mourir à mes pieds.
Cette fois encore sur la plage j'ai laissé mes souliers, mais pas seulement. Je me suis départi de presque la totalité de mes vêtements, ne gardant sur moi qu'un simple maillot. C'est ainsi qu'à cette époque ils nomment ces choses. Personnellement je trouve que ça ressemble à un short collant et ça me semble être une matière bien étrange.

Nous sommes en fin d'après-midi et l'endroit est dépourvu de vie. J'ignore pourquoi mais ce monde me parait bien vide, même les plages semblent abandonnées. Je crois que nous sommes encore peu nombreux dans cet Univers, comme si le responsable de tout cela aimait prendre son temps et le peupler petit à petit. Je me penche sur le sol et prends une poignée de sable dans ma main que je relâche dans la brise. Les grains virevoltent un instant avant de retomber pour la plupart dans la vague qui vient me lécher les mains.

« Quelles sont tes secrets ? »

Les mers, les océans, des vieux amis. Je me relève et lentement je m'avance, bien vite l'eau ne se contente pas d'être au niveau de mes chevilles et je poursuis ma route. Un homme normal se serait sans doute mis à nager lorsque l'eau vient à recouvrir plus souvent qu'à son tour son nez mais pas moi. Je garde mes pieds au sol alors que je finis par disparaître totalement sous l'eau. Je prends alors une grande inspiration et... je respire. Euphorie. Un instant j'ai cru que seule l'eau potable m'était redevenue une amie.
Oh comme être ici m'a manqué. Ce n'est pas mon monde, ce n'est pas mon océan mais... C'est comme un retour à la maison.

Durant des heures je reste sous la mer, explorant, avançant, savourant. Je sais qu'aujourd'hui encore je n'aurai pas toutes les réponses à mes questions mais je savoure, je revis... je vis. Lorsqu'au fond de moi je sens que minuit fleurit à la surface, je décide de faire demi-tour.

De ma tête je perce la surface de la mer et je sens sur ma tête le vent se perdre. La nuit n'est pas totalement noire car la Lune pleine me baigne de sa lumière. Je suis à quelques cents mètres du rivage, peut-être deux cents, et je me mets à nager. Lorsque je reprends pieds, je me rends compte que l'eau aurait dû me sembler froide et peu hospitalière. Je n'ai rien ressenti de tout ça. Alors que je marche sur le sable en direction de mes affaires, je vois une chevelure presque blanche, un homme me regarde... Depuis combien de temps est-il là ? J'espère pas assez que pour se demander comment je peux sortir de l'océan alors que cela fait des heures que personne n'y est entré. Je sais cependant qu'il est déjà étrange de se baigner à cette heure alors que l'eau doit être glacée. Il doit être un peu près une heure du matin, peut-être plus.

Sur mon corps presque nu, l'eau ruisselle alors que je reconnais l'homme que j'approche enfin.

« Monsieur Hélios, quelle agréable surprise de vous revoir »

Désormais devant lui, j’acquiesce. Silencieusement je l'observe et j'ai l'impression qu'il est en meilleure forme que lors de notre première rencontre. Je me trompe peut-être... Malgré la clarté de la lune, il fait sombre et je peux louper ses cernes et ses faiblesses.
Sous la brise légère, je frisonne. Maintenant que je ne suis plus sous l'eau je ressens la fraîcheur de la nuit. Je me penche presque au pied de ce jeune homme que je connais à peine pour m'emparer de ma serviette. Je la secoue dans l'air contre le vent afin d'en ôter le sable et à la nuit et aux yeux de mon observateur, je dissimule mon corps.

« Je ne pensais pas croiser quelqu'un à cette heure »

Ce qui ne me dérangeait pas vraiment même si je ne pouvais savoir ce qu'il avait réellement vu. Je ne pensais toutefois pas qu'il aurait pu s'en servi contre moi. Il ne semblait pas adepte d'un ennemi que j'aurai pu me faire ni ne sembler avoir envie de me vendre à qui que ce soit. J'avisais alors qu'il portait à la main un appareil photo.

« Oh, vous êtes photographe ? »

Je ne l'avais pas questionné lors de notre première rencontre. Il m'avait semblé fin, presque irréel, j'avoue que je l'aurai plus vu de l'autre côté de l'objectif mais... Il était vrai que d'après ce que j'avais vu, certains photographe était parfois bien plus fascinants que leurs modèles. Pas que je le trouvais fascinant, bien sûr. Je l'avais juste trouvé quelque peu intriguant et... éteint.

Depuis 18h ? Je n'ai pas pris ma montre avec moi mais vu la position de la mer, j'ai plus ou moins calculé qu'il était aux alentours des 01h du matin. Il doit avoir le corps gelé à moins que je ne sois le seul à avoir froid car mon corps mouillé est la proie des vents.

« Vous n'avez pas froid ? N'allez pas attraper la mort en restant trop longtemps ici sans mouvements »

Les journées longues je connais, plus depuis que je suis humain qu'auparavant et encore... déjà à l'époque ma vie était des plus remplies. Aujourd'hui, je ne sais pas vraiment quoi penser. C'est tellement différent de ma vie d'avant. Est-ce que je regrette mon ancienne vie ? Parfois, et pourtant pas totalement.

« J'imagine que vous devez avoir pas mal de succès »

Je souris. J'aime particulièrement ses cheveux... sous la lumière irréelle de la lune je pense que cela peut faire des photos magnifiques. Je serai presque tenté... Je n'ai malheureusement pris aucun engin électronique pour venir sur la plage aujourd'hui, pas avec les intentions que j'avais en venant ici.

« Oh oui... très longtemps, plusieurs heures »

Je faillis lui dire quelque peu avant lui mais alors il comprendrait que c'était presque impossible qu'il ne m'ait pas vu auparavant. Cependant il était posé non loin de mes affaires, peut-être va-t-il comprendre ? Ou imaginer des choses... Je me demande s'il me questionnerait sur le sujet.

« Euh non...  »

Je souris un peu interdit. C'était bien la première fois qu'on me posait une question semblable.

« Je n'étais pas à la recherche de poissons, je... Je ne capture pas vraiment ce qui est libre pour le mettre en cage de verre »

J'ai un petit peu moins froid mais je reste très frissonnant. J'ai la chair de poule et pourtant j'ôte ma serviette de plage de mes épaules pour ceindre ma taille. Je me penche alors pour ramasser, épousseter et passer ma chemise même si pour l'heure les pans oscillent dans le vent.

« Vous n'avez pas mangé, une fois encore ? »

Je le regarde quelque peu inquiet étant donné notre dernière rencontre où il n'avait vraiment pas fière allure. J'ai l'impression qu'il est livré à lui-même et qu'il n'arrive pas vraiment à prendre soin de lui. Est-ce parce qu'il n'en a vraiment pas envie ou parce qu'il ne sait pas le faire ? Je sais que je ne devrai pas m'en soucier. Je ne suis après tout qu'un étranger pour lui et ici je ne suis plus un Dieu.

« M'inviter à manger ? Je ne suis pas sûr que... »

Pas sûr que ce soit une bonne idée ? Assurément pas. J'ai eu l'impression qu'il ne savait pas s'occuper de lui mais je me suis peut-être trompé à son sujet. Personnellement si je n'ai pas mangé ce n'est pas parce que je dormais, profitant de l'adage ' Qui dort, dîne ', mais parce que trop pris par mes expériences je n'avais pas fait attention au passage du temps. Il est certain cependant qu'il me faudrait manger et pourtant j'hésite. Je me demande si tel une sirène des temps anciens il attire ses futurs encas dans son antre. Ce serait presque drôle que le peuple que j'ai mis tant d'énergie à protéger ne veuille soudainement faire de moi leur repas.

« Personne ne m'attend ce soir mais... ce n'est peut-être pas prudent d'inviter un parfait inconnu chez vous, surtout en pleine nuit »

Je lui souris avant d'ajouter...

« Surtout un individu que vous trouvez presque nu sur un bord de plage alors que minuit est passé depuis longtemps et que la lune pleine règne.  »

J'émets un petit rire.

« Imaginez que je sois un loup-garou ou un psychopathe, ou pire, un loup-garou psychopathe »

A voir son regard qui se ferme, je pense que je n'ai pas utilisé les bons mots. Si je n'avais pas vraiment peur pour ma personne, j'étais cependant inquiet qu'il invite un parfait inconnu chez lui... Le monde des hommes n'est pas toujours beau et gentil... J'aurai aimé qu'il en prenne conscience plutôt qu'il se ferme et se braque.

« Ce n'est pas tant que j'ai des doutes sur vous, mais vous devriez en avoir sur moi bien que je n'aie pas profité de vous alors que vous vous êtes retrouvé inconscient en ma compagnie »

Je soupire tout en le regardant. Il a les traits fins, presque féminins telles les beautés androgynes de la Grèce Antique. Il est certain qu'il doit attirer les regards même si je trouve que ses vêtements larges ne le mettent pas spécialement en valeur. Ne se rend-il pas compte qu'il pourrait attirer bien des requins de ce monde ? J'imagine que tous ceux qui sont revenus dans ce monde ne sont pas tous des enfants de coeur car il faut de tout pour faire un monde. Moi-même je ne suis pas une oie blanche.

« Je ne vais assurément pas tarder... Mais je ne voudrais pas que nous nous quittions sur des paroles incomprises. Je ne voudrais pas qu'il vous arrive quelque chose... C'est pour cela que je vous mettais en garde. Je ne voulais pas vous faire du mal, je n'en avais aucunement l'intention. Mais vous n'êtes pas forcé de me croire »

Il a les yeux braqués vers le ciel et je ne peux pas voir son visage. Il me semble distant et j'ai l'impression qu'il n'attend qu'une chose, que je parte et le laisse en paix. J'ai sans doute laissé passer la chance de le connaître et le découvrir, pourtant lors de notre première rencontre j'avais voulu savoir ce qu'il deviendrait... Il semble vivre... C'est bien là la seule chose dont je devrai me contenter je suppose. J'aurai sans doute du accepter sa proposition sans mot dire un peu plus tôt. Tampis.

« Je suis désolé de vous avoir froissé Monsieur Hélios, je vais vous laisser aller vous sustenter. J'espère que vous me pardonnerez mes mises en garde. Faites attention à vous. Bonne soirée »

Et je passe à côté de lui pour m'éloigner vers la digue. J'aurai envie qu'il me rappelle et réitère son invitation... Je crois qu'être enfermé dans un corps humain me rend stupide.

Je n'avais fait que quelques pas lorsque j'ai senti sa main prendre la mienne par derrière. J'ai sursauté, je ne m'y attendais pas. J'avais passé en réalité qu'il ne me rappellerait pas même si quelque part je l'espérais, ou qu'au plus il m'appellerait verbalement. C'était inattendu. Sans voir son visage j'entendis ses premières paroles et elles n'avaient rien avoir avec celles que je lui avais entendu lors de notre première rencontre ou même il y a quelques minutes. Je me tournai alors vers lui, intrigué.

« Je vais finir par croire que vous voulez que je reste »

Je souris et il peut voir sans aucun souci que je ne suis pas fâché qu'il m'ait retenu, que du contraire. Il énonce l'envie d'apprendre à me connaître et je pense alors à tout ce qui fait l'homme que je suis aujourd’hui devant lui. Je me demande combien de temps ça lui prendrait de savoir tout de moi. Une vie entière ?

« En d'autres temps faire connaissance signifiait s'unir »

Mes yeux pétillent et je me doute qu'il ne voulait pas dire que nous devions nous unir bibliquement ce soir. Cela dit sa plastique n'aurait rien à envier à certains éphèbes que je connus dans une autre vie. Je me morigne de penser à cela en cet instant alors qu'il tente seulement de faire un pas vers moi. Je m'en voudrais presque de le mettre mal à l'aise mais sous ce réverbère j'ai envie de le voir rougir. Je suis pratiquement sûr que ça lui irait très bien.

« Je vous suis mais je crains de ne pas vraiment être en tenue »

Je récupère ma main pour attacher plus facilement ma chemise en laissant quelques boutons ouverts et j'enfile alors mon pantalon beige malgré que mon maillot soit encore mouillé. Je suis déjà plus présentable mais l'humidité rend ce dernier un peu moulant.

« ça va déjà mieux ainsi... J'espère ne pas vous faire honte, je crois que les gens vont trouver un peu étrange que je me sois baigné à cette heure-ci, je pense »

Ses joues sont vraiment rouges maintenant et il a un air vraiment adorable. Je le trouve charmant. Il est dommage que la lumière des réverbères lui rende moins justice que celle de la Lune. J'ai envie de le taquiner un peu plus. Est-ce mal de s'amuser un peu ? ça fait une éternité que je ne me suis plus amusé de la sorte.

« Je trouve que le rouge vous va très bien »

Plus il s’emmêle dans ses explications, plus je souris. Je me fais figure d'être le chat et lui la souris, je trouve que ma journée est parfaite aujourd'hui. Après avoir renoué avec l'océan, je trouve un amusement bien plaisant. Je pourrai l'aider, bien sûr, mais c'est bien plus drôle ainsi.

« Vous voudriez nous faire passer pour un couple venant de faire ses ébats et venant nous sustenter humm ? Vous êtes un peu rapide en besogne »

Je voudrais bien l'aider, mais j'avoue qu'il ne s'aide pas lui-même en cet instant et je ne peux résister à le taquiner plus encore. J'avais raison le rouge sur ses joues lui va très bien. Je me demande si en d'autres circonstances cela ne lui irait pas encore mieux mais je vais être gentil et garder mes réflexions pour moi. Je m'en voudrais qu'il ait soudainement une mauvaise opinion de moi.

« Je n'attire le regard que de celui qui veut vraiment me voir, je crois que vous me donnez trop d'importance »

Sous cette forme, même si ma plastique n'est pas désagréable, je doute d'attirer les regards comme il le prétend. J'avoue que je n'y ai pas vraiment prêté attention non plus auparavant. En tant que Dieu j'avais l'habitude de prendre des formes humaines, parfois discrètes et d'autres fois bien moins. Aurait-il raison ? Ai-je l'air de venir d'un autre monde ? Enfin bien sûr c'est sans doute le cas de tout le monde ici, mais, est-ce que j'ai vraiment l'air d'être décalé ? Est-ce que j'attire vraiment les regards comme il le prétend ou juste le sien ?

« Ce sont les choses insignifiantes qui donnent le goût à la vie, ne vous tracassez donc pas pour ça »

Dix-sept ans, je crois que pour le monde moderne c'est considéré comme assez jeune. Dans les temps anciens on était dans la fleur de l'âge à dix-sept ans, adulte à 12 ans, marié presque immédiatement et puis les enfants. Je me demande s'il avait une famille. Ainsi sa première vie a été bien courte...Je me demande ce qu'il peut avoir connu, ce qui a pu faire qu'il n'avait pas le goût de poursuivre sa vie lors de notre première rencontre et ce qui semble avoir changé aujourd'hui. Il n'a plus le même regard. Je préfère celui-ci.

Nous arrivons devant son baraquement et effectivement les lieux bien que déserts sont encore illuminés. Du coin de l’œil je remarque qu'il frisonne mais malheureusement je n'ai pas pris de veste avec moi et je ne peux lui poser sur les épaules.

« Vous semblez avoir encore plus froid que moi, je propose qu'on prenne quelque chose à emporter et que nous ne traînions pas ici, vous allez attraper la mort et... un mannequin la goutte au nez est tout sauf sexy »

« Si je comprends bien vous aimez vous envoyer en l'air en pleine nature mais ce n'est pas une proposition ? »

J'avoue que je m'amuse beaucoup mais je ne sais pas si lui le voit de cette manière. Mes yeux pétillent, je souris, je ris un peu et je le vois vraiment rouge. Je ne crois pas qu'il pourrait l'être plus encore. Il est comme un phare dans la nuit qui attire les papillons de nuit et il semble que j'en sois un. Je passe un bon moment en sa compagnie et je suis heureux qu'il m'ait rattrapé. C'est bien plus intéressant et amusant d'être avec lui que seul chez moi, bien que je ne suis jamais vraiment seul vu la nature de mon travail.

« Et vous êtes fiancé »

Une moue passe un bref instant sur mon visage avant que le sourire ne revienne. Fiancé, ce mot est tellement surfait. Je pense au mariage, à Amphitrite, à Zeus, mon frère et Héra. Le mariage est loin d'être une finalité en soit, du moins en terme de fidélité et je pense que pour beaucoup d'hommes sur terre, c'est un peu comme les Dieux. Amphitrite, je me demande si elle dort encore au fond de l'océan, ce qu'elle est devenue, elle qui a toujours attendu mes retours.

« Prestance, Charisme ? Vous êtes un vile flatteur Hélios »

S'il n'avait pas laissé sous entendre qu'il était fiancé, j'aurai pu croire que je lui plaisais mais peut-être est-ce le cas malgré tout ? A moins que ses fiançailles n'appartiennent au passé ? Non, j'imagine que non, sinon il aurait parlé d'ex-fiancé ou alors il n'arrive pas à faire le deuil du passé.

« Vous avez une préférence ? Comme ça lors de mes promenades si j'en vois je les ramasserais en pensant à vous... Ah oui, sauf que je ne pourrai vous les donner faute de pouvoir vous contacter. A moins que vous ne me passiez votre numéro de téléphone ? »

Hélios se commande un chocolat chaud et je le suis dans son choix. Par cette température une boisson chaude, ne peut qu'être agréable. Certains disent que le chocolat chaud est une boisson d'enfants. Nous serons donc deux enfants ce soir.

« J'ai laissé ma voiture sur le parking si vous voulez que je vous ramène »

« Laissez-vous le temps »

J'ai repris mon sérieux. Je crois que son passé le touche énormément et qu'il a encore une grande importance sur sa vie actuelle. Je ne sais pas s'il a vraiment envie de passer à autre chose et avancer, j'ai l'impression qu'il est en équilibre instable sur la ligne. Hésitant.
Je paye ma boisson également, pensant que j'aurai pu lui offrir mais il avait été trop rapide.

« J'y ferai attention »

Je parle bien sûr des coquillages et pas vraiment de son papier mais je lui laisse le soin de trancher la question et je range le petit document écrit de sa main dans ma poche, n'ayant aucun téléphone sur moi en le remerciant. Je ne sais pas encore si je lui enverrai un message mais j'ai la nuit et quelques jours sans doute pour y réfléchir. Je ne sais même pas s'il en a vraiment envie ou s'il m'a passé son numéro par peur de refuser.

En avant quelques gorgées du liquide brûlant, je sens en moi naître la chaleur telle une salamandre s'enroulant au coin du feu. J'aurai presque envie de fermer les yeux un instant pour savourer le moment mais bien sûr je ne le fais pas. A la place j'observe mon jeune compagnon. Nous marchons silencieusement alors que je le guide vers ma voiture et pourtant je ne trouve pas la situation pensante. Ma voiture est là, seule et solitaire sur le parking, un petit SUV gris sombre au toît rouge et aux rétroviseurs rouge, une kia stonic. Je fais le tour et appuyant sur le bouton du côté passager, je lui ouvre la porte en penchant mon buste vers le sol et en lui faisant signe de s'asseoir, comme si j'étais le chauffeur et lui un homme riche.

« Si Monsieur veut bien se donner la peine »

Une fois qu'il a pris place, je lui dis de faire attention afin de ne pas lui coincer un membre et je referme la porte avant de faire le tour et de prendre place au volant.

« Il me faudrait une adresse si vous le voulez bien, ou me guider »

Ma gobelet de carton qui contenait mon chaud breuvage repose désormais dans la poubelle à côté de mon véhicule. J'ai donc les mains totalement libres pour le conduire là où il le souhaite.

Il a raison, Destiny Avenue, une rue au nom des plus évocateurs, n'est pas vraiment loin. En même temps rien n'est vraiment loin dans cette ville en vase clos delaquelle on ne peut s'éloigner. Je me demande après combien de temps je me lasserai de cette vie... Autrefois, lorsque les Hommes m'ont oublié, j'ai laissé couler mon essence dans le monde pour m'y fondre et je me suis endormi. Combien de temps cela prendra-t-il dans celui-ci ?

Le voyage se déroule dans un silence entrecoupé de directives de mon jeune passager. Bien vite nous arrivons devant ce qu'il m'indique être son immeuble et je me gare gentiment devant afin qu'il ne doive pas trop marcher. La nuit est froide et je me rappelle encore combien nous avons frissonnés sur la digue.

« Voila voila »

Je ne descends pas cette fois pour lui ouvrir la porte. J'espère qu'il ne me trouve pas un peu rustre de ne pas jouer les chauffeurs de bonne famille jusqu'au bout. Je le regarde et il semble hésitant. Comme si descendre de mon véhicule le plongeait soudain dans un dilemme insoluble telle la Chimène de Racine.

« J'avoue ne pas être vraiment en amour avec le café, mais si vous souhaitez de ma compagnie, je peux rester encore un peu »

Un sourire fleurit sur mes lèvres alors que je me demande pourquoi il souhaite que je reste. Mon ventre émet une vive protestation peu élégante et je me rappelle alors que je n'ai pas mangé depuis les deux heures de l'après-midi et qu'il est déjà non loin des trois heures du matin du jour suivant. Je fais comme si de rien n'était même si son estime pour moi à dû en prendre un coup, si tant était qu'il avait de l'estime pour ma personne.

Je descends alors de ma voiture et après avoir entendu le claquement de sa portière, je verrouille d'une pression l'habitacle avant de le regarder.

« Je vous suis »

Ici aussi la lumière est vive et je déplore que la Lune ne soit pas notre seule guide. Dans les temps anciens les nuits me paraissaient bien plus belles en bonne compagnie. J'ai l'impression qu'aujourd'hui les hommes ont oublié le romantisme et les passions du passé.