[HOT] ~ Tous les cris, les S.O.S. | [PV] Sören Alpheus Lazaridis

Jour de repos, pas d’hôpital aujourd'hui, pas de garde, rien. Je n'étais pas homme à aimer tourner en cage dans ma résidence. Je détestais rester en place, être enfermé, vieux reste de mes années à attendre que les siècles se passent, immobile et solitaire.

Je n'aimais pas plus le silence mais parfois la ville avec l'art de m'oppresser elle aussi. A mon époque tout cette technologie, ce monde moderne n'existait pas et la nature avait bien plus de droit. Ce n'était pas que ce monde me dérangeait tant que ça mais je me sentais en décalage, pas vraiment à ma place. Marchant dans les rues, je m'éloignais peu à peu de ce qui était fabriqué. C'est en forêt que je décidais de me poser.

Ici je retrouvais un peu mon monde d'autrefois, écoutant à loisir les bruits de la nature car si on savait l'écouter, jamais une forêt n'était calme et silencieuse. Les arbres bruissaient, les animaux l'arpentaient, vivaient, ou vrombissaient. Au détour d'un chemin je me posais au pied d'un arbre, m'adossant le dos, et je sortis une liseuse, avantage de ce monde moderne.

Je ne sais combien d'heures passèrent ainsi mais je sentis soudain une odeur familière, une odeur qui me mettait en appétit... l'odeur de la peur. Quelqu'un, quelque chose courait, et ça sentait la peur. J'entendis non loin de moi la course s'arrêter. Mais l'odeur était forte, très forte. Je fermais ma liseuse et parti en quête de cette proie si effrayée qu'elle en était comme un phare dans la nuit pour moi.

* Attirante, envoutante...*

C'était ce buisson. La proie avait voulu se cacher mais je voyais les feuilles trembler, j'entendais sa respiration et surtout je la sentais... Tellement repérable, tellement peu discrète et au loin un pas plus lourd, celui-là sentait l'envie... l'envie, le sperme et la saleté, je fronçais le nez.

" Petit lapin, le renard n'est pas loin "

Le petit lapin ne sent pas que la peur mais aussi le sang. Il est blessé mon petit lapin... J'aurai presque envie de partir à la chasse, mais la chasse est déjà finie, je suis à l'entrée de son terrier. Le problème avec les lapins, c'est qu'ils ont peur, se tétanisent et ne sortent plus de leur terrier pendant un certain temps et puis... ils oublient, ils tentent et c'est la fin.
Ce petit lapin est étrange, il a peur mais il écoute le serpent qui siffle à sa porte, il se charme, il sort. C'est trop facile.

L'aider, elle veut que je l'aide... Depuis quand la proie demande de l'aide à un prédateur ? Celui qui était le sien est comme un enfant qui ne sait rien, je suis sans doute le plus dangereux et pourtant elle se cramponne à moi. Je sais me retenir à la vue du sang et à son odeur, sinon je ne serai pas chirurgien. L'aider... en soi je le peux, mais ai-je vraiment envie de le faire ?

" Tu es blessé petit lapin et ton renard a beau ne pas être futé, il n'aura pas de mal à te rattraper si tu pars sans tes petits souliers. Tu crois qu'un serpent pourrait l'effrayer toi qui l'a vu ? "

Je souris, je ne suis pas vraiment un serpent, je suis, ou plutôt j'étais bien plus que cela. J'étais le maître de mon monde, de mon territoire. Devant moi aucun humain ne faisait le fier, j'étais crains... j'étais vénéré. Je me demande si un humain lambda peut encore sentir le prédateur sous la peau. On dit que les prédateurs se reconnaissent toujours entre eux... mais encore faut-il qu'ils ne soient pas stupides.

Enfin je vois la queue du renard. Il semble vraiment peu appétissant et son regard... Je pense que je l'aurai mangé juste pour la postérité... mais pas avec envie. Il me semblait si fade. Je le regarde et il me regarde. Mon sourire ne disparaît pas. Le petit lapin tremblant bruisse dans mon dos. Le petit renard est excité mais ma présence ne semble pas lui plaire. Pas plus que la sienne ne me plait. Je suis entre sa proie et lui. Il me demande de partir, de la laisser, qu'il l'a vu le premier. Je ricane, pauvre petit renard, il ne sait pas encore qui je suis. Mon regard se fait plus sombre et je dévoile mes dents quelque peu. Sous cette forme je ne suis guère aussi impressionnant qu'autrefois et pourtant je sais que l'ambiance s'alourdit entre nous. Je le vois hésiter et je fais un pas vers lui. Sa superbe se fane, il recule.

" Pauvre petit renard, tu vas partir bien gentiment la queue entre les jambes, n'est-ce pas ? Sinon elle risque de se retrouver greffée sur ton front "

Mon ton de voix est froid et doucereux. Je vois qu'il n'est pas à l'aise, il frémit. Il sait que je suis sérieux, je crois même qu'il sent le danger, il bafouille des mots insensés, des excuses aussi, envers moi, pas envers elle, des mots sans valeur et sans saveur et puis il s'en va, moitié courant, moitié tombant. Le petit renard n'est plus qu'une pauvre poule mouillée.

Je me retourne et je me retrouve face à mon petit lapin, si proche qu'elle est maintenant pratiquement au sein de mes bras.

" Votre renard est parti, petit lapin "

* Mais moi je suis toujours là *

Pour ce petit lapin terrorisé et tremblant, je fais figure de héros et c'est une sensation bien étrange qui vient à mes sens. Je n'ai jamais été le héros. Du moins pas comme ça... car en temps que chirurgien je sauve des vies tous les jours et parfois les humains pleurent devant moi... de joie. Je ne sais jamais vraiment comment réagir devant toutes leurs effusions. Je n'ai pas l'habitude de ce genre de comportements de leur part...

Mais ici je n'ai pas le temps de réagir que le petit lapin s’affaisse en flaque devant moi. Décidément les proies ne sont plus ce qu'elles étaient si elles effondrent d'elles-mêmes sans que je ne fasse rien. Je m’accroupis à ses côtés et je l'étends de meilleure manière. Des blessures légères, quelques coupures assez profondes sur les pieds, sans doute dues à sa course, une foulure. La douleur aurait-elle pu lui faire perdre conscience ? Je n'en suis pas sûr, peut-être la retombée de l'adrénaline couplée à la peur, au stress et ... oui peut-être à la douleur mêlée.

Les plaies ont beau être légères... tout son corps sent le sang frais... mêlé aux odeurs de peur qu'elle n'a cessé d'émettre, je sens dans ma bouche mon envie. Je soupire. Dans d'autres temps je n'aurai pas hésité. Elle ne serait déjà plus. Je passe mon doigt sur une coupure de son bras et ma langue vient recueillir le précieux liquide carmin. Une odeur d'océan, un sang sucré, léger, gouteux. Elle me donnerait bien envie.

J'observe ses cheveux de flamme, ils me disent quelque chose. La plaine, je crois que je l'ai croisée dans la plaine lorsque la montagne rougeoyait à la manière de ses cheveux. Je crois que l'homme blond l'avait appelé Maëllis, ou peut-être Maëlle, je ne sais plus. Cela n'a pas grande importance. Je me mords l’intérieur de ma joue et mon propre sang envahit ma bouche et se mêle à ma salive. Je lèche alors les coupures de son cou. Délicieux. Au passage de ma langue, ses plaies se referment. Je ne vais bien sûr pas lécher son corps tout entier. Je relève son haut quelque peu et je vois une marque assez profonde, comme si elle avait eu un coup assez puissant, peut-être le retour d'une branche ou une chute sur un énorme cailloux pointu...Je ne pense pas en tout cas qu'il s'agisse d'une marque de couteau, mais cela est possible. Peut-être que le renard avait des crocs, finalement. Je lèche également cet endroit. Si proche du tissu qui marque sa taille. Je suis obligé de lui ouvrir son pantalon pour terminer ma tâche.

Je la regarde alors, elle n'a pas réagit. Je souris et je sors de ma poche un petit canif. Je coupe mon poignet en suivant ma veine, dans le sens de la longueur. Mon sang se met à couler de manière bien fluide... et c'est ce fluide vitale que je verse dans sa bouche avant de masser sa gorge pour le lui faire avaler. Ses plaies vont toutes se refermer progressivement mais il va falloir un peu de temps, quant à sa jambe... elle pourra bientôt marcher dessus mais elle restera sans doute faible une bonne semaine durant.

Je lèche alors mon poignet pour arrêter le sang et peu à peu ce dernier se tarit à mesure que ma plaie disparaît. Pas même une cicatrice ne témoigne de ce qu'il vient de se produire.

Je prends alors dans mes bras la jeune fille évanouie et sa tête se glisse dans mon cou par inadvertance. Je sens son parfum...Foutu petit lapin. Je ne sais ni qui elle est, ni où elle vit alors je l'emmène vers l'endroit que je trouve le plus approprié ; dans mon antre. L'hôpital ne lui servirait à rien, mon sang est entrain de la remettre sur pied et cela pourrait susciter trop de questions. Intérieurement je me demande pourquoi je ne l'ai pas encore dévorée.

Amener sa proie dans son lit, une vieille habitude... quoi que souvent c'était plus au chevet de mon lac que véritablement au sein même de l'endroit où je fermais les yeux.
Cela faisait bien une heure qu'elle se trouvait là et j'avais assez bien vaqué à mes occupations. Désormais, de ses blessures, il ne restait que les traces de son sang qui avait coulé. Je ne l'avais pas plus lavé que mes brefs contacts avec ma langue dans son cou et sur le bas de son ventre. Quant à sa cheville, elle devait encore être faible. Plus foulée, mais sensible... Il faudrait qu'elle prenne ses précautions si elle souhaitait marcher.

Ses mouvements de réveil avaient attiré mon oreille attentive et je me tenais dans l'encadrement de la porte alors qu'elle étudiait son environnement. L'odeur de peur avait disparue. Petit lapin trop confiant qui pense que parce qu'il est dans un terrier, il ne risque rien, et temps si ce terrier n'est pas le sien.

" Assurément plus dans la forêt "

Je souris. Question quelque peu stupide car ma maison n'avait rien d'un hôpital. Il n'y avait pas dès lors des milliers de possibilités... Les humains se rendaient parfois à l'hôtel, bien sûr, mais je doutais qu'il y en ait dans cette ville, même si j' avais eu la connaissance de leur existence à mon réveil ici. Tellement de données apprises et reçues pour paraître plus humain. Pour que le prédateur puissent se fondre dans la masse de ses proies.

" Votre renard a fui, je vous ai ramené chez moi. Vous devriez faire attention à votre cheville "

Allait-elle se rendre compte que son relatif état de bonne santé était quelque peu anormal ? Allait-elle se souvenir que tout ceci était impossible ? L'odeur du sang était encore très présente surtout dans cette petite pièce... J'en avais l'eau à la bouche. Surtout que j'y avais goûté et sa saveur particulière m'avait laissé un sentiment de trop peu.

" Votre n'aviez ni chaussures ni papiers "

* Petit Lapin *

Petit lapin trop curieux, j'aurai dû m'en douter. De toute temps cela a été le propre des humains : se questionner, chercher des réponses, et... tenter de prendre ce qui ne leur appartenait pas.
Je l'observe sans répondre dans un premier temps.
Il m'importe peu que les gens sachent ce que je suis en vérité même si certains pourraient vouloir se servir de moi et de quelques uns de mes talents. Cette fille ? Elle ne semble être personne et je ne suis pas certain que les gens la croirait de toute manière.
La tromper ? Lui dire qu'elle était surement moins blessée que ce dont elle se souvenait ? Ce serait peut-être une idée, à moins que ce ne fusse une perte de temps.

" Ne sommes nous pas tous humains aujourd'hui ? Petit lapin au goût océan "

Je lui répondais indirectement mais ce n'était pas vraiment subtile. Elle saurait lire entre les lignes car elle ne me semblait pas idiote. Son regard sur moi me semblait étrange. Il n'était pas comme celui de mes proies d'autrefois qui respiraient la peur. Non... il était plus comme celui de certaines de mes collègues, intéressé. Ce petit lapin me semblait définitivement bien étrange de porter ce genre de regard sur moi alors qu'il venait d'échapper au viol ou plus encore.

" Je ne pense pas qu'il y ait quoi que ce soit à en dire, tous les êtres ici qui ont un semblant de réalité viennent tous d'ailleurs. Qu'ils soient spéciaux ou non n'y change rien "

Hormis bien sûr pour ceux qui avaient gardé des envies de vengeances ou des regrets. Me concernant... j'avais bien des rancœurs envers une certaine déesse et son servant. Ceux qui avaient mis fin à ma première vie.

" Le petit lapin a-t-il un nom ?  "

Je n'étais même pas sûr d'utiliser son nom à l'avenir tant ce sobriquet semblait lui coller à la peau. Elle me trouvait guérisseur alors que j'étais prédateur. C'était quelque peu étrange d'être si proche d'un humain dans ma propre tanière et de lui parler plutôt que de chercher à le tuer. Je passais un instant ma langue sur mes lèvres, me remémorant son goût... Je regrettais presque qu'elle ne soit pas encore blessée. Ce qui me faisait penser qu'elle était encore recouverte de sang séché.

" Vous souhaitez peut-être prendre une douche ?  "

Maëllis, ce n'est pas que son prénom n'est pas joli, mais je trouve qu'il sonne faux, qu'il ne lui va pas vraiment. Assurément Petit Lapin lui va beaucoup mieux. Serait-elle vexée si je n'utilise pas le nom qu'elle s'est donné dans ce monde ?

J'ignore tout de ses pensées mais je ne pense pas avoir déjà été observé de manière si intense, comme si j'étais soudainement devenu fromage et elle souris. Mais je suis loin d'être aussi dépourvu de défenses qu'un fromage, je serai plus le chat qui les observe.

" On me nomme Sören "

J'hésite à lui dire de rester alors nue comme au jour de sa naissance, telle que la nature l'a faite. Autrefois lorsque j'étais hydre, je n'avais pas besoin de me vêtir de fripes et je dois dire que je ne m'en portais pas plus mal pour autant. Autrefois mes écailles étaient mes vêtements, barrières de protection contre toutes sortes de menaces. Les humains en étant dépourvus, ils avaient dû trouver des parades. Je dois dire que je n'ai jamais aimé ceux en armures... Trop durs sous la dent.

" Je peux vous passer une de mes chemises, cela vous fera comme un grand t-shirt...  "

Éventuellement un pantalon ne serait pas idiot, mais... je n'avais pas qu'elle s'enfuit si rapidement. Quant à ses vêtements actuels... pour moi ils étaient bons pour la décharge.
Sans plus attendre sa réponse je me dirige vers la penderie et trouve une chemise en soie bleue que je lui tends. J'imagine que la sensation sur sa peau, que je sais délicate, lui plaira. Cette matière mise sur la peau m'a toujours paru être caresse légère. Je dois dire que je l'apprécie tout particulièrement.

" Je vais vous préparer une infusion, la salle de bain est en bas de l'escalier, vous prenez la porte de gauche, traversez le salon et c'est la porte à droite dans la cuisine. Attention à votre cheville  "

J'hésite un instant... Devrais-je aider ce petit lapin à se déplacer où la laisser se démener dans l'escalier quitte à se blesser à nouveau ? Aider un humain... c'était bien là chose nouvelle pour moi... quoi qu'en dévorant les maris et femmes infidèles, j'avais rendu service à bien des couples.

" Vous souhaiteriez peut-être que je vous soutienne ?  "

Tout ce que j'ai fait pour elle ? Elle se méprend, je n'ai rien fait de spécifique pour elle... si ce n'est ne pas la laisser se faire dévorer dans la forêt par un autre que moi. Enfin j'imagine que c'est déjà une bonne chose selon ce petit lapin.

Comme je m'y attendais, elle quémande un nouveau contact et je m'approche d'elle, ne pouvant m’empêcher de renifler plus encore son odeur. Océan et sang, je sens la salive se faire plus dense dans ma bouche et mon ventre se met à gronder alors que je me penche pour lui passer mon bras autour de la taille afin de la soutenir pour se relever.

Lorsqu'elle est un peu près stable sur l'une de ses jambes, l'autre à peine effleurant le sol, je passe mon bras autour de sa taille afin d'alléger son poids et qu'elle puisse se reposer sur moi. Je n'ai jamais soutenu un humain de la sorte, ni même un dieu. Même dans mon travail je ne suis pas préposé à ce genre de contact avec les patients... Je ne sais si je suis maladroit où si je l'aide vraiment. Je crois que je ne le fais pas que pour elle... son odeur est entrain tout doucement de me rendre fou, je ne sais si je vais résister longtemps à l'idée de la regoûter à nouveau. Je serai presque déçu de ne pas m'être encore intéressé à cette nouvelle drogue qui a été mise sur le marché. Il paraît que ça met les gens dans un état proche du rêve et de la félicité... il serait tellement plus facile de trouver des proies ainsi... et des proies vivantes.

" Je ne peux laisser un petit lapin fatigué se retrouver encore plus blessé par ma faute dans ma propre tanière "

Tant bien que mal je l'aide à descendre les escaliers et si sa cheville doit déjà être bien moins enflammée que lorsqu'elle est arrivée ici, elle doit tout de même rester fort sensible. L'aventure est délicate et je suis heureux soudainement d'avoir une rampe à cet endroit pour nous aider.
Dans la salle de bain je l'aide à s’asseoir sur une sorte de tabouret de bain et je lui prépare une grande serviette et la chemise. Aucun sous-vêtement par contre ni de dessous. Je la laisse alors, avec l'intention de revenir emporter ses vêtements lorsqu'elle serait sous la douche mais... pas pour les laver... pour les jeter, ce que je me gardais bien sûr de l'informer.

" Je vous laisse vous débarbouiller, je vais vous préparer mon infusion... Je pense que votre mauvaise cheville ne sera ensuite qu'un mauvais souvenir  "

Une nouvelle dose de mon sang, plus grande, devrait venir à bout de son mal de cheville, me reste à le mélanger avec quelque chose afin qu'elle ne sache pas tout de suite ce qu'elle aurait pu avaler... Je souris... et si je changeais quelque peu la nature de mon sang pour créer en elle le sommeil ? Peut-être aurais-je ainsi l'occasion de lui faire une petite incision...

Je n'imaginais pas qu'elle commencerait à se déshabiller devant moi sans pudeur aucune. J'avais en tête que les humaines de cette époque étaient bien moins frivoles que les nymphes d'autrefois mais cette demoiselle n'était peut-être pas de ce temps, pas plus que moi en vérité.
Je détournais un instant le regard, me retournant même pour la laisser se dévêtir alors même que mon regard glissait parfois sur le miroir qui me faisait face. Lorsqu'elle fut entièrement dévêtue, j’emmenais ses vêtements comme je l'avais prévu afin de m'en débarrasser et je la laissais seule à ses ablutions.

Alors que je préparais mélange de mon sang, d'eau, de cannelle, de pommes sauvages, de fleur de camomille, de gingembre et d'écorce d'orange je l'entendis chanter sous la douche et au début, si ce n'est un sourire, je n'y prêtais aucunement attention. Mais cette voix avait quelque chose de magique et sensiblement je me sentais attiré par cette porte close... pourtant quelque chose me soufflait qu'il s'agissait d'un piège... La mélodie continuait et je ne fus plus à ce que je faisais, quelque peu envouté, je posais ma main sur la clinche de la porte et entrait. Il y avait beaucoup de buée sur les miroirs mais je ne les remarquais pas, mon regard tout entier était fixé sur le rideau de douche qui dansait sous la frappe régulière des gouttelettes. J'étais soudainement fasciné par ce chant et pourtant montait en moi une mise en garde, comme si tout mon sang en moi luttait contre cet état second.

Mon sang mêlant guérison et poison est sans doute ce qui me sauva de ma propre déchéance... car si j'ouvris brusquement le rideau qui dissimulait ma tentatrice aquatique, je reviens soudainement à moi alors qu'elle ne s'était pas encore tue et interdit, j'observais maintenant son corps ruisselant qui me faisait face.

Une contenance vite... rapide.

" L'infusion sera bientôt prête, ne tardez pas "

Je ne sais ce qui pouvait passer dans la tête du petit lapin mouillé en cet instant, mais j'imaginais bien des choses. Jamais je n'aurai dû pénétrer ainsi dans cette salle mais... je n'avais pu résister. J'imaginais que désormais mon sang me préserverait mais... n'était-il pas déjà trop tard ? Serait-elle à nouveau effrayée comme avec ce renard malhabile mais par moi cette fois ?

" Je suis désolé "

Sans refermer le rideau toutefois, je tournais les talons, prêt à la laisser finir de se préparer.

Elle s'excuse comme si jamais elle n'avait voulu m'attirer à elle tels les marins éperdus des contes de fées. Je crois que je sais désormais quel genre de créature elle fut dans une autre vie. Cette voix attirante, envoutante, c'est le propre des sirènes. Naguère je n'en n'avais jamais rencontré car elles ne vivaient pas aux abords des lacs mais dans les profondeurs océaniques. Je ne sais comment j'ai réalisé le prodige de lui résister mais j'en suis fort aise. Le prédateur en moi n'a pas aimé se faire submerger quelques instants par cette créature douée de pensée qui faisait pourtant figure de proie. J'ai bien envie désormais de la faire elle-aussi succomber et perdre pieds.

" Je pense que je saurai à l'avenir résister à votre appel Petit Lapin. J'ai simplement été surpris, cela n'aurait pas dû arriver "

Je me faisais figure autrefois d'être vigilant mais je n'avais pas qu'une seule tête en ce temps-là. Avoir figure humaine me perturbe encore parfois. Même après deux ans passés dans ce corps, j'ai encore quelques fois la sensation fantôme de mes membres manquants, comme si je peinais à réaliser que ce corps était désormais le seul que je posséderai jamais... A moins qu'un jour celui qui nous avait amené ici nous rende notre nature originelle... J'avais l'impression que dans cet univers, tout pourrait nous arriver.

" Je vous en prie Petit Lapin, c'est tout naturel "

A son regard fuyant, je m'imaginais qu'elle voudrait bientôt s'enfuir, mais elle ne pourrait assurément pas le faire si peu vêtue et sans chaussures, cela j'en étais persuadé. Pour un temps indéterminé, mon Petit Lapin serait piégé dans mon petit terrier et je ne m'étais pas encore décidé à la laisser filer sans la regoûter.

J'avais fini par ne pas m'attarder à ses côtés et à aller faire chauffer l'eau pour l'agrémenter des ingrédients que j'avais préparé. Lorsque j'entendis derrière moi la porte s'effacer, je me retournais avec un sourire sur les lèvres m'attendant à découvrir ma nymphe en déshabillé.

Thé oui éventuellement on pouvait dire cela. Mis à part mon sang dans ce breuvage, il aurait sans doute pu être commercialisé comme une infusion d'hiver. Je me demandais si elle aimerait ? Elle semblait si douce et fragile que je doutais qu'ait puisse déceler et goûter mon sang mêlé.

" Faites attention à ne pas vous brûler la langue, c'est assez chaud "

Je dépose la tasse fumante devant elle et je l'observe. Ma chemise est loin de la couvrir entièrement et elle dévoile malgré elle une bonne partie de ses cuisses et de ses jambes. Ainsi, on dirait qu'elle sort de notre lit après avoir fait l'amour... comme si je pouvais avoir une compagne humaine, ce serait aberrant, n'est-ce pas ? Je me demande ce que pourrait être l'amour moi qui n'ait connu que les infidèles et les perdus.

" J'espère que la douche vous a fait du bien "

Je déplorais presque de lui avoir suggéré de se laver. Désormais elle sentait bon, bien sûr, mais cette douce odeur d'orchidée et de fleur de tiaré manquait à mon sens quelque peu de la saveur de son sang.
Dans son breuvage d'ailleurs, j'avais modifié la teneur du mien pour qu'en plus de la soigner, il la conduise au pays des rêves, mais pas tout à fait de manière instantanée.

" Comment un petit lapin sans chaussures s'est-il retrouvé perdu dans cette forêt à fuir quelque chose qui voulait le dévorer ? "

Parfois cela faisait du bien de parler...

Une technique vraiment de base pour un prédateur, attendre sa proie à la sortie de son terrier. Je n'avais de toute manière pas imaginé que ce renard fuyard était plus évolué. Il l'avait semblé étrangement limité, mais il avait au moins compris que nous ne jouions pas dans la même catégorie et en soi c'était déjà faire preuve d'une certaine intelligence.

" Technique basique mais vous avez eu de la chance, par contre il s'est enfui votre renard, il n'a pas été arrêté. Je vous suggère d'éviter les lieux quelques temps si vous ne devez plus impérativement y aller et de porter plainte... "

Le monde des humains fonctionnait ainsi. Les proies ne devaient pas s'allier pour chasser le mauvais comme les éléphants ou les mammouths le faisaient, non, ils demandaient à d'autres de chasser pour eux. Un peu comme les lions tiens.

" Prenez votre temps mais si vous voulez que le remède soit efficace, il faudra tout boire "

Mon sang étant dilué dans l'infusion, j'étais presque certain qu'il n'aurait aucun effet sur sa cheville ou sur elle si elle ne buvait pas toute la tasse. A l'heure actuelle la plupart de mes cobayes avait été des souris et... elle était vraiment un peu plus grosse qu'une souris. Quant à moi et bien ce n'était pas pareil puisque mon sang m'habitait tout entier. Peut-être pourrais-je tester mon sang sur des sans-abris ? Ce monde devait bien avoir des vagabonds... ils avaient existé de tout temps, j'en avais même goûté par le passé.

" C'est la première fois que vous venez ici et de ce que j'ai vu votre renard n'avait aucun odorat. Vous serez en sécurité ici "

Du moins autant que l'on pouvait l'être dans la tanière d'un autre prédateur. Mais c'était une chose connue de bien des chasseurs, parfois il fallait occuper la tanière d'un ours pour échapper aux loups. Il fallait juste espérer que l'ours ne rentrerait pas le premier.