Un rêve nouveau [Abandonné]

Les journées étaient parfois bien longues à l’hôpital. Chirurgien réputé, j’enchainais les gardes. Mais cela, c'était encore supportable. Je détestais le silence, et ici j'étais servi.

Des semaines que je supervisais une bande de jeunes résidents et je me demandais comment j'avais fait pour ne pas en croquer un jusqu'à maintenant. Il y avait eu cette petite idiote début de semaine qui, en jouant à l'apprentie sorcière avec un scalpel, m'avait ouvert le bras. J'avais voulu être discret, bien sûr, mais j'avais remarqué le regard que ce petit humain avait fixé sur mon bras... Un jeune qui n'était pas de mon équipe. Un interne qui sentait souvent la sueur et la peur. Jamais je ne l'avais vraiment considéré comme à sa place ici.

Ma blessure s'était refermée, et seul une personne l'avait vue... j'avais prétendu aller la soigner mais cela n'avait été que poudre aux yeux...  Mon sang était spécial, il l'avait toujours été... et un homme aujourd'hui en était persuadé.

Toute cette semaine, j'avais senti son regard sur moi, épiant le moindre de mes gestes. Je n'avais même pas pu passer chercher un petit organe à la morgue ni même une poche de sang, j'étais sur les nerfs. Cette tension palpable mettait mon sang froid à rude épreuve et j'avais plus l'impression d'être proie que prédateur. Je détestais cette sensation.

Fatigué après une journée éreintante, je quittais l'hôpital pour rentrer à ma résidence. Je n'aimais pas y être enfermé, mais je n'avais pas le courage de partir en promenade après un pareil rush. Mon attention était émoussée et au détour d'une ruelle, j'entendis une poubelle se fracasser au sol. Je me retournais vivement. Personne... et pourtant l'intime conviction que j'étais suivi.

Je ne suis pas tranquille et je suis certain que ce n'est pas mon imagination. Alors que je poursuis mon chemin, je sens que je suis suivi. Faire comme si de rien n'était ? Ce n'est pas facile, je n'aime pas tourner le dos. Autrefois les choses étaient bien plus simples, autrefois je n'avais pas d'angles morts. Mes nombreuses têtes me manquent et je déteste être aussi vulnérable...

Je me retourne brusquement et je vois un homme et le mouvement que j'ai perçu juste avant m'indique qu'il n'est pas seul et qu'un autre homme à réussi à se jeter derrière le porche d'une maison juste à temps. Des humains, bien sûr... C'est toujours des humains. Dans mon esprit je me sens presque projeté des siècles en arrière, quand les hommes venaient encore avec des piques pour tenter de m'éliminer. Combien n'ont pas essayé durant des centaines d'années ? Je ne saurai les compter.  Tous, tous ont fini entre mes crocs... jusqu'à ce demi-dieu... Mes yeux brillèrent de colère soudainement et je fais un pas vers l'homme qui me fait face. Un mouvement de recul... Je crois que je lui fais peur. Il me semble peu à l'aise.

" Ben quoi mon petit ? Pas l'habitude qu'on te résiste ? Tu pensais vraiment que j'allais te fuir ? "

Je sais que mon corps actuel est bien moins fort que celui que j'avais autrefois. Plus faible, plus lent, moins résistant, mais jamais je ne reculerai devant un humain. Je suis mort une fois, je me suis juré que la prochaine fois ce ne serait pas aussi facile.
De ma poche, je sors un couteau repliable... Oui... je ne suis pas totalement sans défense, que croyais-tu, petit homme ?
Son acolyte sort de l'ombre et mon petit homme se ragaillardit. Il doit se sentir fort maintenant qu'il n'est plus seul. Tels deux coqs qui me feraient face en gonflant leurs plumes.

" Tellement ridicules "

Cela les agace, bien sûr, et le premier fonce vers moi armé d'une barre de fer... Peut-être avait-il intention de m’assommer pour me voler ? En cet instant, je ne fais pas vraiment le lien entre ce qu'il s'est passé à l'hôpital et l'instant présent. Cela me semble être deux mondes si éloignés, cette ruelle et mon lieu de travail.

Je l'esquive, il manque de perdre l'équilibre... Oui, ridicule, d'un coup de coude bien placé je l'envoie au tapis. Son ami en a profité pour tenter de me surprendre avec son couteau... Je me protège d'un bras et malheureusement c'est la lame qui le cueille... le sang jaillit... réaction immédiate. Déjà je sens que ma plaie se referme progressivement... Je suis vraiment en colère cette fois.

" Pauvre petit humain malhabile, tu commences vraiment à m’énerver "

Il ricane, il se sent fort. Je lui balance un coup de pieds en direction de ses parties mais il est plus agile que l'autre et il m'esquive. J'avise autour de moi une vieille poubelle de métal et je m'empare de son couvercle dont je me sers comme bouclier. J'ai vu tant d'humains du passé venir m'affronter avec ce genre d'équipement. J'en ai passé du temps à les observer, et à les dévorer. Je passe une langue sur mes lèvres. Cette fois c'est moi qui attaque, vif comme le serpent. J'entaille la peau de son ventre... trop légèrement. L'odeur du sang envahit l'air.

Escarmouches, esquives, nous entamons une danse étrange qui se voudrait mortelle. Seulement notre grabuge attire et un policier vient s'enquérir de ce qu'il se passe au début de la ruelle... mon adversaire se sauve emportant le couteau taché de sang en laissant son pote sur place. Quant à moi ? On me laisse repartir... On me dit de porter plainte. Je souris sans réponse. Après tout... Je ne suis pas, ou plutôt plus blessé.

[...]

Cela fait presque un mois et demi que des hommes ont tenté de m'agresser, de m'enlever pour être plus précis, à cause de capacité que j'avais osé démontrer. Tout un temps, j'avais essayé d'être discret et puis il y avait eu ce premier jour d'octobre ou tout avait basculé, où j'avais dévoilé à bien trop de gens que je n'étais pas qu'un simple humain. Une nouvelle attaque ? J'osais dire que je m'y étais attendu... J'avais tenté d'être plus attentif, plus sur mes gardes et puis le temps avait passé. Rien n'était arrivé.

La seule qui m'avait interrogé ? Cela avait été Mathilde et elle, elle n'avait pas été oppressante ou odieuse. Non... Je souris à la pensée de ce thé après les événements. J'avais même trouvé ce moment agréable. J'avais l'impression que je changeais au contact des humains... trop peut-être. Et je ne savais pas si c'était une bonne chose. Etais-je mieux avant, étais-je mieux maintenant ? En tout cas une chose était sûre, je n'étais plus aussi seul. Je n'avais plus jamais été aussi seul qu'autrefois. Et ça, c'était certainement une bonne chose.

Ce qui était plutôt problématique, c'était bien que ce corps-ci me semblait faible, tellement plus faible que mon précédent. J'avais peur d'un jour ne pouvoir résister et de perdre aussi ce corps comme j'avais perdu le précédent et cette fois sans même pouvoir me défendre. Je soupirais. Ces derniers temps j'étais trop tendu, il fallait que je me détende.

Je sortis de l'hôpital après une journée somme toute banale et en sortant, je remarquais cet homme... Je me souvenais de son visage. Il avait été présent le jour où ce coffre était tombé du ciel... Il avait été présent et il avait tenté de cramer les autres. Je souris presque carnassier. Je ne savais pas ce qu'il me voulait, mais j'avais l'impression étrange qu'il m'attendait. Pourquoi ?

Pour l'heure cependant je fais comme si de rien n'était et je passe devant lui en continuant mon chemin, tous mes sens en éveil.

Je suis étonné. La personne qui m'observait, qui m'attendait, de manière fort peu discrète, il faut l'avouer, m'a directement approché. Pas de faux semblant, pas de filature, non, mais un affrontement direct, si l'on peut dire.

Il revient sur notre rencontre quelques temps plus tôt. Moi aussi je me souviens très bien de lui et de sa jolie bombe... Heureusement contrairement à beaucoup, je n'ai pas vraiment été touché par les effets hallucinogènes de son produit. J'avoue que je n'aurai pas aimé perdre mes moyens et me mettre à voir d'étrange créatures ou des couleurs chatoyantes alors que j'aspirais à me concentrer. Cela dit j'aurai pu être blessé... et je n'aime pas spécialement me faire roussir les écailles. Je le regarde circonspect mais je me suis arrêté. A quoi sert de m'éloigner alors que je suis persuadé qu'il compte me suivre si je me contente juste de l'ignorer ? Les humains sont ainsi... Ils n'aiment pas être ignorés. De toute manière il ne me laisse pas trop le choix puisqu'il a interrompu ma marche en se plantant directement devant moi, sur le chemin que je comptais emprunter. Oh je pourrai très bien le contourner, bien sûr... Mais je n'ai pas vraiment envie de me prendre un coup de poignard dans le dos.

Il se présente... et il est des plus directs. Mon sang. Il n'est pas le premier à m'approcher depuis l'évènement. Le deuxième en réalité... Je savais que j'aurai dû me montrer plus prudent, plus discret, surtout depuis l'attaque. Comme je l'avais dit à Mathilde, j'avais agi de manière peu réfléchie ce jour-là et j'allais devoir payer le prix de mes actes. Sans doute devais-je déjà m'estimer heureux de n'avoir plus été attaqué depuis ce fameux jour d'ailleurs... Je savais que ce genre de rencontre allait arriver... Mais je ne sais pourquoi cet homme voudrait de l'aide de ma part ni pourquoi je voudrais l'aider d'ailleurs.

" Chester Jester. Un homme qui n'hésite pas à balancer ses bombes incendiaires sur ses pairs "

Ma voix est basse, avec un ton presque dangereux. Cet homme pense-t-il que je vais lui faire confiance alors que j'ai l'impression qu'il pourrait trahir ses amis à tout moment ? Je n'ai aucun indice qui pourrait me pousser à lui faire confiance et le suivre ? Oh j'ai envie de rire... Me croit-il si naïf ?

" Vous ne semblez pas plus irréel que moi, effectivement contrairement à nombre de gens ici. Vous suivre dans une ruelle pour parler de mon sang est... un intéressant concept mais voyez-vous on m'a déjà attaqué il y a peu. Vous conviendrez que vous suivre et devenir potentiellement un rat de laboratoire ensuite est une idée assez peu... attrayante. Ne vous a-t-on jamais appris de faire une rencontre entre deux animaux sur un terrain neutre pour qu'ils puissent s'apprivoiser ? "

Je souris mais ce n'est pas un sourire de joie, c'est plus un sourire froid, un sourire dangereux. Je ne sais pas pourquoi mais en cet instant je n'ai pas vraiment confiance en lui. Peut-être justement parce que j'ai failli recevoir ce jour-là son joli joujou sur ma tête... ou parce que par habitude je ne fais pas confiance aux humains. Je me demande s'il va me dire de choisir un endroit... Comme terrain neutre j'avoue que je pensais à un café ou un restaurant. Ce genre de lieux où les humains aiment se rendre pour discuter.

Petit pétard ? Il est vrai cela ne m'a pas fait grand chose à moi mais je sais que d'autres ont été touché par des hallucinations... j'aurai donc pu en être atteint. A vrai dire que les humains ont été touchés je m'en fiche totalement, mais je me demande comment j'ai pu résister. Est-ce parce que j'ai été une créature avant ? Ou est-ce que cela n'est dû qu'à ma propre nature ?

" Le Capitaine Badass ? C'est ainsi que vous appelez votre ami le policier ? "

Je ne connaissais pas le nom de famille, ni même le prénom de ce policier mais j'étais certain que ce n'était pas Capitaine Badass. Il avait été impressionnant avec l'araignée, cet homme, cela je pouvais le reconnaître mais vu ma nature profonde, je dois dire que je ne ressentais aucune envie de me rapprocher de ce garde des temps modernes. Les gardes des villes n'avaient jamais été très enthousiastes non plus à l'idée de faire copains-copains avec ceux qu'ils appelaient monstres de toute manière. Tout au plus j'avais été utile à certains pour réguler leur population et leurs criminels.
Bien sûr cela été le passé, mais dans cette vie actuelle que je menais, certains de mes penchants ne seraient certainement pas mieux perçus par cette figure d'autorité. Je me demandais quels liens avait exactement l'homme qui me faisait face avec ce policier.

Il avait toutefois une idée toute particulière d'un métier honnête cet homme qui me faisait fac car il évoquait ouvertement le kidnapping de plusieurs personnes et sa tentative sur ma personne. Je fronçais les sourcils. Je ne voyais pas en quoi reconnaître ouvertement cela me ferait lui faire confiance, que du contraire. Cela dit le suivre ferait que je n'aurai plus à m'inquiéter d'une future attaque, ou du moins de mieux connaître mes adversaires. J'entendais presque la voix de Mathilde me dire que j'étais stupide de vouloir régler tout cela seul. Dommage pour elle, elle n'était pas là. Il me disait de choisir le lieu, mais peu importe car si je choisissais un rendez-vous dans plusieurs jours car il aurait le temps de se préparer. Même maintenant à vrai dire... Nous suivre si vous étions à pieds ? Cela ne serait pas difficile.

" Vous êtes un être original. J'avoue avoir du mal à cerner votre vraie nature et vos... affections. Annoncer que vous vouliez m'enlever pour vos affaires est à la foi gratifiant et flippant. Devenir un animal de laboratoire que ce soit pour la ville ou un particulier ne m'attire pas particulièrement. Vous l'avez deviné, je ne tiens pas à vivre enchainé ou dans une cage, fusse-t-elle même être dorée "

Pas comme mon frère Cerbère qui avait passé sa vie enchainé devant la porte des Enfers pour en être son gardien. Comme si c'était la seule manière de rester en vie... et quelle vie... pour moi il avait simplement survécu alors que j'avais vécu jusqu'à ce qu'un homme aidé d'une déesse retorse ne mette fin à tout.