Le ver de trop [Rp Roulette]

Les réveils brusques et surprenants sont sans doute monnaie courante pour certains habitants de notre ville. Chester pourrait tout à fait être de ceux-là, j'entrevois au moins deux ou trois personnes qui ne seraient pas plus dépaysées que ça. Mais je n'en fais pas partie. Je n'en ai jamais fait partie. Chaque matin était semblable au précédent sur mon île, les journées étaient tranquilles, rendues moins monotones par l'arrivée aléatoire de navires. Mise à part mon arrivée à Mirapolis, je n'ai donc jamais été confuse en ouvrant les yeux mais là...je tombe des nues.

Au lieu de ma chambre pastel, de mon lit moelleux et de ma couette en duvet, je n'aperçois que du sable à perte de vue, une étendue aride et râpeuse qui s'engouffre beaucoup trop facilement dans les plis de ma...chair. Où sont mes vêtements ?! Je baisse des yeux paniqués sur mon corps qui est bien trop dénudé à mon goût. Des bas résille couvrent mes jambes (si on peut appeler ça 'couvrir') et je découvre engoncée dans ce qui ressemble à une guêpière noire assortie qu'un noeud papillon. Je n'ai jamais eu l'occasion de porter ce genre de tenue dans le cadre de mon travail mais ça ne manquait pas. Je me relève en flageolant, cherche des yeux quelque chose ou quelqu'un pour me renseigner. Une silhouette se détache à quelques mètres.

Hey ho ? Vous...vous allez bien ?

-MMWAAAAAAAAAAAAAAAAAAARGHOUBLOUBLOUBLAAAA

Poussant des cris stridents et nasaux, la silhouette dégingandée se rapproche en agitant ses extrémités, visiblement vêtu avec la même indécence que moi. Vous conviendrez qu'il existe assez peu de situations où voir un inconnu courir en braillant inspire la confiance et la sérénité. J'ai donc un mouvement de recul avant de me souvenir qu'il est sans doute le seul être vivant à des kilomètres et qu'il pourrait bien me renseigner. L'avantage, c'est que plus il avance, moins il grandit, ce qui rend la menace éventuelle moins effrayante. Il reste néanmoins un homme, la vigilance est de mise. Il s'agit avant tout de déterminer si cet individu est dangereux.

-Hey! Vous aussi vous avez pris du fugu?

Niveau de menace : cupcake. Sans vouloir me montrer méchante, je le dépasse d'une dizaine de centimètres, ce qui réduit quelque peu l'angoisse qu'il pourrait m'inspirer. Me sentant un peu rassurée et surtout sur un pied d'égalité d'un point de vue vestimentaire, je secoue la tête pour répondre à sa question.

Non, rien que de la salade et des oeufs. Je...n'ai aucune idée de où nous sommes ni pourquoi.

Il faudrait être stupide pour ne pas comprendre que c'est un coup du Suprême et, quelque part, je me sens un peu soulagée de ne pas avoir à affronter une araignée géante comme d'autres l'automne dernier. S'agit-il d'un jeu de piste ? De quelque chose de plus vicieux comme un combat à mort ? Mais pourquoi je pense à ça, moi ?! Ce n'est pas dans mes habitudes d'avoir des pensées belliqueuses, mieux vaut rester polie.

Nous sommes apparemment compagnons d'infortune...Moi, c'est Emily, et vous ?

Les présentations risquent d'être écourtées car le désert tout entier se met à trembler sous nos pieds, les dunes s'écroulant dans un bruissement sec, à moins qu'elles ne se rassemblent en une seule. Alors que je cherche à retrouver mon équilibre, une masse gigantesque et rosâtre émerge du sable avec un rugissement assourdissant. A mi-chemin entre le serpent et le lombric, la créature se dresse sous nos yeux en reniflant l'atmosphère. Qu'avons-nous tiré de son sommeil (et comment) ?

Le discours du nouveau venu court sur pattes ne me semble pas totalement sensé mais je comprends néanmoins qu'il officie en tant que serveur ou commis dans un restaurant et que son nom à la ville est Diego. Cependant nous n'avons pas l'occasion de nous étendre plus là-dessus puisque les dunes glissent et s'enfuient pour laisser la place à un être longiligne aux prunelles vitreuses. Une créature des profondeurs sans aucun doute, même si je n'en ai jamais vu de si grande ni...effrayante. La terreur envahit mes membres dénudés et je glisse un regard à mon voisin dans l'espoir qu'il possède une arme, un moyen d'éviter une mort douloureuse. Mais hélas, il y a peu de chances qu'il tire une épée de sa guêpière, à moins qu'il ne compte dompter la bête par quelque moyen.

Mes yeux me joueraient-ils des tours ou serais-je en train de contempler une créature absolument ravissante? Auriez vous un nom somptueuse lombric?

Est-il sérieux ? La réplique est si incongrue que je marque un temps en espérant ne pas avoir compris. Mais non, c'est bien un regard langoureux (et répugnant) que Diego lance au ver des sables avant d'entamer une série de mouvements aussi absurdes que perturbants. La créature que je pensais pourtant aveugle suit les roulades avec grand intérêt mais à en croire la langue fourchue qui passe sur son absence de lèvres, je crains que le jeune homme n'éveille pas le bon type d'appétit.

Toujours est-il que nous sommes deux à assister à ce spectacle singulier, jusqu'à ce que Diego s'arrête, les bras tordus et du sable collé à des endroits peu élégants de son anatomie. Pendant quelques secondes, il affiche un sourire extrèmement fier et je guette le silence, le monstre aussi, dans l'espoir fou que cette parade ait porté ses fruits. Jusqu'à ce que le semi-reptile pousse un cri strident à percer les tympans, agitant l'extrémité de son anatomie avec force. Il y a longtemps, des marins m'ont expliqué qu'il s'agissait d'un signe de joie que de remuer la queue mais je n'ai pas envie de m'attarder pour en savoir plus.

D'accord, fuyons !

Sans même y prendre garde, j'attrape le poignet de mon compagnon pour l'aider à s'élancer, nos pieds nus excessivement peu adroits sur le sable glissant même si nous mettons toute notre énergie pour nous éloigner du monstre. Le gigantesque ver prend un malin plaisir à nous laisser de l'avance avant de heurter sa queue sur le sol, faisant s'écrouler le décor déjà mouvant. Il nous faut nous cacher, quelque part qui ne soit pas une dune. Mais où ? Et que faire ensuite ?


Oasis droit devant !

J'accélère le pas de mon mieux, pointe du doigt la forme sombre qui se découpe à l'horizon et qui devrait constituer un abri, quoique éphémère. Mais nous n'avons pas d'autre choix. Le temps de me réfugier derrière la bouteille géante, je suis en nage mais le liquide mandarine devrait -avec un peu de chance - nous dissimuler un peu, juste le temps d'élaborer un plan.

Je...je crois qu'elle accepte votre sacrifice...

Ainsi dissimulés au regard du ver géant, nous devrions être en mesure de réfléchir à une stratégie afin de nous sortir de ce mauvais pas. Il doit bien y avoir un moyen de rejoindre la ville à proprement parlé, le paysage ne peut pas être infini. Peut-être aussi que mon étrange partenaire d'infortune aura une idée lumineuse ou une capacité à mettre au service de notre cause.

En le voyant se doucher dans le liquide sucré, je bannis définitivement tout espoir de lumière dans ce petit crâne. Cela ne m'arrive pas souvent, même dans mes heures les plus sombres, mais je regarde Diego avec la certitude que je vais mourir en compagnie d'un idiot. Nullement gêné, il s'étend dans le sable pour une petite sieste, se recouvrant tout entier de grains qui vont le gratter jusque dans ses fondements, à n'en point douter. Personnellement, je tire sur ma tenue excentrique (et qui me colle chaud) en continuant de réfléchir à une échappatoire.

Le petit train rigolo à destination du centre-ville passera dans 24 minutes. Il desservira toutes les gares.

En voilà une aubaine ! Il y a donc bien un moyen de partir d'ici ! J'ouvre la bouche pour avertir le larbin (c'est lui qui l'a dit en premier) mais reste muette de stupeur en constatant que le lombric a soigneusement, discrètement enroulé ses anneaux autour du corps frêle pour le porter à ses babines dégoulinantes. Ainsi s'achève donc l'aventure de Diego, le...ah non, elle n'en a pas voulu. Recraché comme un noyau de cerise directement dans une dune, le jeune homme ne se laisse pas abattre. Rien ne peut donc le perturber plus d'une demi-seconde ?! Il se met alors à parler à la bête en faisant de grands gestes et j'admet ne pas y prêter plus d'attention, trop choquée de l'avoir vu frôler la mort sans même un haussement de sourcil.
Attendez une minute...MAIS IL ME DESIGNE DU DOIGT, CETTE ANDOUILLE !

Traître !

Je m'offusque puis panique en voyant la tête rose du ver se tourner dans ma direction, sa langue passant et repassant au dehors pour signifier son appétit. Et aussi pour recracher le sable ingurgité. Sans demander mon reste, je me mets à courir, parce qu'il n'y a pas vraiment d'autre solution, en espérant trouver la gare sur un coup de chance. Pendant ce temps, le lombric femelle amorce un mouvement pour me suivre mais prend d'abord le temps de presser son gros corps froid contre Diego, le soda le faisant coller à la chair pâle pour qu'il puisse l'accompagner. Est-ce un son de plaisir qu'émet sa grosse gorge, on se demande... La nuit de noces promet d'être agitée.

L'espèce d'immonde petit être perché sur son ver me crie quelque chose à propos de reflets mais je suis dans un tel état de panique (et de colère) que je serais bien en peine de savoir quoi. Je ne suis pas d'une nature aisément agaçable mais il semblerait que me perdre dans le désert dans une tenue minimaliste, me faisant courser par un lombric gigantesque piloté par un allumé, ça joue sur ma patience et mes nerfs.

Le sol tremble violemment et je jette un coup d'oeil en arrière, trop inquiète à l'idée de voir débarquer un autre monstre que Diego pourrait ajouter à son harem. Mais non, énergumène et monture disparaissent dans un nuage de sable, ce qui est loin de me rassurer. Si je ne vois plus mes poursuivants, comment savoir où aller ? Dans le doute, j'accélère du mieux que je peux, pas vraiment habituée aux courses, que ce soit dans cette vie ou une autre, et franchement pas aidée par le terrain.

La chance me sourit enfin, j'aperçois au loin les contours d'une bâtisse qui ne peut être que la gare ou alors il y a plus d'infrastructures dans ce désert que je ne l'aurais pensé. Il ne me reste plus qu'à l'atteindre, sauter dans le train qui ne tardera pas à arriver et...c'est une blague ?!

"Hey hooooo , tu viens ? Verra à vraiment faim ....et ma vie ayant plus de valeur que la tienne j'apprécierais que tu vienne avant qu'elle change d'avis  quant à son repas !

Un réel cri de désespoir s'échappe de ma gorge, je suis tombée aux Enfers ! C'est donc à cela que ressemble le Tartare, il n'y a pas d'autre explication envisageable ! Il ne peut décemment pas être en train de s'agiter, sur son gros ver plus si blanc, là où je me dirige. Ce serait trop injuste. Et de quel droit il ose dire que sa vie vaut plus que la mienne ?! Il doit être totalement fou, c'est la seule explication qui me vienne à l'esprit. Toujours bavard, il se redresse avant de rester suspendu en hauteur, visiblement collé à ce qui ressemble à une horloge. Bien fait.

Reste le monstre en lui-même, la grosse créature aveugle qui ne risque pas de me laisser filer si facilement. N'ayant pas d'autre choix que de rejoindre la gare, je continue de courir en espérant pouvoir me cacher derrière l'un des rares murs (c'est assez sommaire comme endroit) en attendant ma délivrance. Le lombric se tortille, se redresse, émet des sons glaçants sans payer la moindre attention à son cavalier qui tombe finalement au sol. Non, sa chère Verra a dû apprécier son ordre car elle se dirige droit sur moi. Je vais réellement mourir à cause de cet imbécile ?!

Le train deus ex machina est à l'approche

Une locomotive clinquante fonce à grande vitesse sur les rails, trop vite pour que ma poursuivante puisse s'écarter. Les deux corps, l'un de métal et l'autre de chair, entrent en collision dans un bruit atroce...à mi-chemin entre une claque sur un ventre mou et le bruit de cuisses qui se décollent d'une chaise en plastique en plein été. Je ne saurais pas exprimer ça plus clairement ni plus élégamment. Je l'avoue avec honte, ma première pensée est du soulagement mêlée de crainte : le train est-il toujours en état de marche. Pauvre Verra...

Dans un mélange d'esprit morbide et de recueillement, je prends quelques instants pour contempler le corps frémissant de feu Verra en songeant qu'il est triste d'en être arrivée là. Je n'avais jamais eu à tuer une bête et même si l'on pourra considérer que c'est le train qui causa sa mort, je me dois d'assumer une part de la responsabilité. Cependant, je ne peux pas me permettre de rester songeuse trop longtemps, pas avec ce fou furieux dans les parages.

"-HA! Bon reste là ou tu es je vais te cuire , ça risque de prendre un peu de temps  donc s'il te plait ne cris pas j’entends déjà suffisamment de cris en cuisine ."

Comme pour confirmer ma pensée, voilà Diego qui se remet à hurler des idioties sur le fait de...me cuire ?! Mais ce n'est pas possible ! Il ne me laissera donc jamais en paix ? Comme si nous n'étions pas déjà assez brûlés par le soleil, je vais d'ailleurs devoir expliquer à l'agence pourquoi l'une de leurs mannequins a un motif de filet imprimé sur les jambes, ce n'est pas la meilleure marque de bronzage.
S'acharnant comme un forcené sur ce qui ressemble à un briquet, l'individu suspect lâche une exclamation, de même que son arme qui embrase instantanément le ver mort, mettant un point final à son existence.
Feu Verra, ais-je dit...étrangement véridique.

Le train deus ex machina ayant actuellement un petit problème technique, nous vous invitons à contourner la gare pour trouver un moyen de transport alternatif. Attention aux doigts.

Même si ce spectacle vaut le coup d'oeil (et quelques larmes), je n'ai toujours pas de temps à perdre, il faut que je rentre chez moi et que je mette au moins quelques continents entre ce malade et ma personne. Quelque soit le moyen de transport proposé, j'espère qu'il ne nécessitera pas que je le partage avec Diego ou je risque de commettre un meurtre. C'est dans ces moments-là que je regrette de ne pas avoir mes pouvoirs. Sans perdre une minute, je cours, toujours handicapée par ce maudit sable (comment ont-ils fait pour construire une gare en plein désert ?), jusqu'à apercevoir un animal bossu. Un dromadaire, enfin quelque chose de logique. Puisque l'atroce petit bonhomme a voulu me tuer, plusieurs fois, je ne fais aucun cas de lui et saute sur le dos du dromadaire avant de le talonner pour qu'il s'éloigne. Diego n'aura qu'à courir, je rejoins la civilisation !!

Alors que l'animal nouvellement découvert coopère tant bien que mal entre les dunes, j'entends un bruit tout sauf engageant venir de derrière et se rapprocher à grande allure. Les chances que ce Diego ait trouvé un autre ver géant sont minces mais je ne peux empêcher le doute de s'installer tout au fond de mon esprit à la perspective de devoir fuir la Mort de nouveau. Non, à bien tendre l'oreille, tandis que je cahote sur le dos du dromadaire, ça ne ressemble pas au grondement bestial d'un lombric. Mais alors...

Comment voulez-vous que je m'en sorte ?!

Il a plié les lois de l'univers à sa volonté, il a soudoyé le grand manitou pour obtenir une limousine alors que je cavale à dos de camélidé. Cela ne fait aucun sens, aucun ! Dans ces conditions, autant me foudroyer directement, cela m'évitera la souffrance de voir l'odieux visage du petit être tourné vers moi pour me sortir je-ne-sais-quelle idiotie de son cru. Il recommence avec ses inepties et je peste pour de bon, entre deux hoquets causés par la course folle de ma monture.

Pour la dernière fois : Je. Ne. Suis. Pas. Un. Reflet !

Mais à quoi bon tenter de lui expliquer l'évidence ? Il ne veut rien entendre et je souhaite juste rentrer chez moi. Je talonne le dromadaire avec rage (désolée, gentille créature qui a accepté de m'emmener loin de cet enfer de sable, je te revaudrai ça) sans même espérer pouvoir semer le nabot et sa voiture de luxe. Je peux tout au plus m'écarter de sa route en croisant les doigts pour qu'il accélère et me laisse rentrer à mon rythme, sans avoir à supporter ses bavardages. Mais je sais déjà, en mon for intérieur, que c'est trop demander.