Et tu vivras à jamais entourée d'amis mais seule sur une île que l'on nommera Paradis mais qui jamais ne rendra ceux qui y poseront le pied. Peut-être est-ce ainsi que l'on pourrait formuler mon destin si j'avais été victime d'une malédiction de façon officielle. Au fond, je ne me plains pas de l'existence que je mène, elle est calme et paisible. Ma table est toujours couverte de mets délicieux, les arbres abondent en fruits, les abords de la plage en poissons.

Allongée dans l'herbe tendre près de ma demeure, je regarde les nuages passer au-dessus de moi en caressant la lourde tête d'un lion, le capitaine du dernier navire ayant accosté sur mes rivages. Un être fier et quelque peu brutal ayant vidé nombre de mes tonneaux en arrivant mais qui est devenu à présent bien plus apaisé et content. Mes doigts glissent dans sa crinière et je m'amuse à laisser voguer mon esprit sur les amas blancs et cotonneux des cieux. Que m'importe de ne connaître que peu de compagnie ou de ne pas siéger parmi les dieux de l'Olympe, je vis dans mon propre univers, loin de la peine, de la maladie et loin des hommes.

Ma rêverie me conduit dans des contrées que je ne visiterai jamais mais dont mes invités m'ont contés les merveilles : Athènes, Carthage, Ithaque, Troie... Certaines ne sont plus que des cendres mais elles devaient avoir une grande majesté jadis, je me demande à quoi ressemble une ville, un palais fait tout en or et en argent.

C'est alors qu'un rire cristallin parvient à mes oreilles. Ni le hurlement d'un loup, ni le chant d'un oiseau mais bien un rire sorti d'une gorge humaine ou approchant. C'est étrange et surprenant, je me redresse en repoussant gentiment la lourde tête sur ma poitrine, apercevant un homme courir à quelques mètres. Un homme ? Serait-il possible qu'un nouveau navire ait accosté ? Je n'ai rien entendu... Aucun vêtement ne le recouvre, du moins de ce que j'en vois car étendue dans l'herbe, je n'aperçois que son torse et sa tête chevelue. Il semble jeune, du moins je le crois et de bonne humeur. Mais une fois attablé, que révèlera le vin ?

Bonjour, étranger... C'est un honneur de te recevoir sur mon île.

Si ma bouche a prononcé cette formule de nombreuses fois au fil du temps, cela n'empêche pas ma salutation d'être sincère. A la voir si joyeux et insouciant, je me demande bien qui il peut être et me redresse en rajustant ma robe blanche pour venir le rejoindre. Mais quelque chose en lui me stoppe net : ses jambes. Si sa nudité n'est plus à mettre en doute, je suis moins choquée par ses attributs exposés que par ses jambes dont la forme et le poil rappellent celles d'un bouc ou d'une chèvre.

Qu'est-ce que...?

Jamais je n'ai rencontré un être tel que lui, est-il homme ou bête ? Je ne me souviens pas de lui et jamais une de mes potions n'a métamorphosé qu'à moitié alors qui peut-il bien être ? La surprise se lit sur mes traits et je me rends compte que j'agis en très mauvaise hôtesse. Il est mon invité et il n'est pas poli de le dévisager ainsi. Je rougis donc légèrement en m'approchant.

Excusez-moi, j'ai été...surprise par votre arrivée. Je me nomme Circée, sois le bienvenu en ma demeure. Tu es ici chez toi.

Ne pas savoir la nature de cet inconnu me plonge dans un profond embarras entre mon amour des animaux et mon inquiétude vis à vis de la gente masculine. Ce qui est certain, c'est qu'il s'agit d'un mâle mais pour le reste, il me faudra sans doute attendre pour le découvrir.

J'avance pieds nus jusqu'à lui, le lion me tenant compagnie se redressant à son tour pour se tenir à mes côtés même si je n'ai pas de raison de réclamer sa protection. Je remarque d'un regard que je suis la seule dont les orteils jouent entre les brins d'herbe car l'étrange créature qui me fait face ne possède pas de pieds à proprement parler. Le bas de son corps est donc entièrement caprin ? En tout cas, il ne semble pas le moins du monde inquiet ou fatigué, il ne se serait donc pas échoué. Il semble seul, aurait-il un navire ? Trop de questions se bousculent, cela est...rafraîchissant.

Ma dame c'est un honneur de fouler de mes sabots votre nature si belle

Il prend ma main pour la frôler avec ses lèvres, une façon de saluer bien étrange et à laquelle je ne suis pas vraiment habituée. Je me demande si c'est une coutume là d'où il vient, dans un pays d'hommes-chèvres, à moins qu'il ne soit victime d'un sort. Est-ce qu'il faut que je fasse la même chose ? Il ne semble pas me tendre sa main alors mieux vaut éviter de prendre les devants.

Pan...c'est court mais joli, je me demande s'il est aussi entier que son patronyme le souffle. En tout cas, il exsude la joie de vivre et l'aisance, comme s'il était tout juste né d'une fleur. Pour une raison que j'ignore mais que je mets sur le compte de ses parties animales, ce presque homme me met en confiance et puisqu'il est mon invité pour un temps indéterminé, je l'invite à prendre le frais à l'intérieur de ma demeure car, à dire vrai, je commence à avoir chaud malgré ma fine toge.

Le soleil est haut et vous devez vous sentir las après votre voyage, venez vous restaurer dans mon palais. Vous pourrez déguster les fruits les plus beaux et les vins les plus délicats.

Je ne dois pas être la seule à être curieuse car le lion s'approche pour renifler Pan et le jauger, lui non plus ne semble pas le considérer comme dangereux. Il faut dire qu'avec ses yeux rieurs et son sourire facile, il fait bien plus adolescent que guerrier. Nous le conduisons donc jusqu'à la grande bâtisse de marbre blanc où une table garnie nous attend déjà. Ca et là, mes amis font la sieste ou déguste un peu de raisin, ne nous prêtant guère attention. Mon compagnon à la belle crinière part s'allonger dans un coin et je me charge de faire le service. Mes mains s'affairent par habitude, mêlant dans le cratère le liquide pourpre, les épices et une potion de ma composition. Peut-être que je pourrais aider Pan à retrouver son apparence ou du moins à la compléter. Il doit se sentir bien maladroit avec ce torse humain, il serait plus à l'aise si sa jolie toison le couvrait tout entier et qu'il pouvait aller librement à quatre pattes.

Si j'accueille beaucoup d'étrangers en ma demeure, il est fréquent qu'ils arrivent en groupe, tout un équipage s'arrêtant sur mes rivages, en quête d'un peu de douceur et de repos. Ils s'attablent donc tous et mangent sans s'occuper de moi, si ce n'est pour me jeter des coups d'oeil admiratifs ou grivois. Pan n'a aucun compagnon et il se rend donc compte très rapidement qu'il va être le seul à se restaurer. Sa politesse est touchante, je ne voudrais pas le mettre mal à l'aise et m'installe donc non loin de lui en tendant la main pour me servir à mon tour.

Ne me laissez pas manger seul, je vais me sentir gêné

Après tout, si tel est son souhait, je ne vais pas m'y opposer. Mon rôle est de répondre à tous les besoins de mes invités et il arrive même qu'ils passent une nuit dans le palais sous leur forme originelle. Même si dans le cas présent, j'aimerais aider ce bel ami à être plus à l'aise. Je verse le vin dans nos verres, ne craignant pas mes propres sortilèges je puis boire sans inquiétude, et regarde le jeune "homme" avec un étonnement difficilement dissimulable. Il ne porte ni vêtements ni bijoux, son corps est étrange mais bien portant, il dégage une gaieté contagieuse, voilà tout ce que je sais de lui en plus de son nom. Cela me semble bien peu de choses et je me décide à en apprendre plus, mangeant tranquillement en donnant quelques morceaux au paon à mes pieds.

Servez-vous et mangez autant que vous le voudrez, seigneur Pan. Vous êtes ici chez vous. Si ce n'est pas trop indiscret, comment vous êtes-vous retrouvé sur mes rivages ? Venez-vous de très loin ?

J'aime que l'on m'abreuve d'histoires et les hommes en possèdent tant dans leur mémoire. Certains parlent avec tant de passion ou de profondeur que je peux presque apercevoir leur cité natale en fermant les yeux, en écoutant le flot de leurs paroles. Cet être si particulier doit sans doute avoir mille merveilles à me conter, même si je le soupçonne d'être encore bien jeune.

Nous mangeons tous les deux pendant que j'écoute le jeune "homme" me parler de sa contrée natale, l'Argolide si je ne me trompe pas, et qui semble un paradis bien champêtre. En l'écoutant, j'imagine des scènes pastorales, des paysages verdoyants piquetés des couleurs chaudes des oranges et à bien y réfléchir, il ne m'est pas difficile de figurer Pan au milieu de cette nature. Malgré la coupe qu'il porte à ses lèvres, mon invité ne semble en aucun cas changé et bien que je l'écoute avec attention, je suis très surprise par cette absence de métamorphose. Que se passe t-il ? Jamais encore mes sortilèges n'avaient connu l'échec. L'air de rien, je le ressers, de plus en plus troublée par cet inconnu auquel je ne comprends rien.

Je vous avoue avoir entreprit un voyage afin de pouvoir contempler de mes propres yeux toutes les merveilles du monde que la nature peut nous offrir. Voyez-vous, j'aime me laisser porter par le courant, parcourir le monde aussi libre que le vent. Vous-même voyagez vous aussi au delà de vos rivages, ma Dame ? Vous semblez bien entourée et pourtant si seule en cette contrée.

Au fil de ses paroles, je me laisse guider comme une onde qui m'emporterait doucement, il a l'art de tisser de jolies phrases et sa voix est à la fois douce et chaleureuse. Il est appréciable de pouvoir discuter ainsi, si le silence n'est pas forcément imposant en ces lieux, il est rare d'entendre des voix, du moins longtemps. Sa façon de compter les merveilles extérieures me donne envie de le suivre, rien que pour l'écouter encore. Bien que nous soyons dans la fraîcheur de mon palais, il me semble que la chaleur du soleil nous ait suivi jusqu'ici et je relâche discrètement les pans de ma tunique pour me rafraîchir un peu. La question de mon hôte est légitime et je baisse les yeux avec un rire, c'est vrai que je dois sembler bien solitaire.

Je dois admettre ne jamais avoir quitté mon île, elle m'offre tout ce dont j'ai besoin et peut-être ais-je peur d'être écrasée par l'inconnu. Mais je vous rassure, ma solitude n'est qu'une illusion, voyez comme je suis bien entourée. Mes compagnons parlent peu mais ils sont affectueux, doux et fidèles, qu'ils portent plumes ou fourrure.

Pour appuyer mes propos, je me penche pour caresser le plumage du paon qui continue de quémander des morceaux de mon repas et mon regard se pose sur les pattes caprines de mon invité...et le reste. Le rouge envahit mes joues alors qu'une pensée bien curieuse envahit mon esprit, furtive, laissant derrière elle un frisson me parcourant jusque sur mes cuisses. Jamais ma curiosité ne s'était traduite de façon si surprenante, car il doit bien s'agir de curiosité.

Votre table est exquise, mais vous l'êtes plus encore sans nulle autre pareille

Nullement conscient de mon égarement, Pan me complimente gentiment mais cela ne fait qu'augmenter mon trouble. Les hommes discourant sur ma supposée beauté furent nombreux mais hélas jamais sans arrière-pensée mais mon invité n'est pas vraiment un homme et je ne sais pas suivre entre deux émotions contradictoires, la peur et cette étrange attirance à laquelle je ne comprends rien. Un soupir s'échappe de mes lèvres alors que j'essaie de trouver mes mots, ma pensée s'exprimant trop vite pour que je la retienne.

Je...pourrais-je toucher ? Votre...votre jambe m'intrigue, je l'avoue.

Jamais je n'ai été si gênée, ni si impolie. Et pourtant je brûle d'envie de m'approcher, de glisser mes doigts sur sa toison. Ce n'est pas qu'elle m'obsède mais...il est insensible à mes potions, possède un corps unique et éveille en moi quelque chose qui me ferait presque peur. Je dois en savoir plus.

Face à mon effronterie, il va probablement se braquer et refuser, me prendre pour une femme trop curieuse ou aux intentions obscures. Je dois bien admettre que pour la première fois, mon corps est en proie à des sensations que je n'aurais jamais soupçonnées. Pourtant, mon intérêt est totalement pur, je vous l'assure.

Je ne voudrais pas vous en priver, faites donc.

Non, Pan est la gentillesse même et ne s'offusque pas, se reculant poliment pour exposer ses jambes à ma vue, sans sembler le moins du monde gêné. Mon regard s'attarde à peine sur ses parties intimes, bien plus intéressée par ses pattes entièrement recouvertes de fourrure et se terminant par des sabots brillants et fourchus. C'est tout bonnement surprenant... Je tend la main et effleure du bout des doigts la toison avant de m'enhardir un peu et de caresser pour de bon l'un de ses membres inférieurs, en découvrant le toucher très doux.

Vous êtes incroyable...et, je dois l'avouer, superbe.

Il possède réellement la moitié d'un corps caprin, c'est tellement surprenant et unique ! Je souris joyeusement en descendant jusqu'à son pied, fascinée par cette merveille. Maudit ou non, il est un hybride magnifique. J'ai envie qu'il reste, il est inédit et sa compagnie est agréable. Je me sens bien à ses côtés même si je regrette d'avoir si chaud, de me sentir si troublée au point de songer brièvement à ôter ma tunique. J'ai déjà rencontré des hommes, j'ai déjà rencontré des boucs mais l'association des deux me perturbe d'une délicieuse façon et jamais je n'ai ressenti cela. Je relève la tête, probablement rougissante et tout mon corps tendu dans l'attente d'une réponse.

Mais qu'êtes-vous ?

Tout à ma caresse, j'espère un instant ne pas faire mal à mon bel ami car il serait dommage qu'il se vexe et s'enfuit. Encore une fois, je me fais du souci pour rien car Pan ne semble pas s'agacer, au contraire, il a l'air content.

Vous êtes vous aussi des plus charmantes et vos mains sont si douces, je pense que je sentirais plus encore votre douceur si vous la posiez plus haut

Taquin, il prend ma main pour la guider plus haut que sa cuisse, sur la fourrure qui couvre son bas-ventre au-dessus d'un endroit que je ne me permettrais pas d'effleurer. Animal ou humain, je n'oserais jamais toucher son intimité, je ne sais que trop bien combien un corps peut être fragile et précieux. Mon trouble ne fait qu'augmenter de minute en minute car une partie de moi est cependant très intriguée par le reste de son anatomie. Je me ferais presque peur à être si indécente, je n'aime pas les pensées qui murmurent à mon oreille. Heureusement, mon invité est doux et enjoué, semblant apprécier les minutes comme elles viennent.

D'un léger mouvement, Pan guide mes doigts sur sa virilité et je rougis violemment en remuant les doigts avant d'écarter ma main, muette de stupeur. Ma première réaction est la honte mais au fond, ce n'est pas moi qui ai initié le geste, je ne devrais pas me sentir coupable. Et puis il a l'air tellement heureux. Pour une raison que j'ignore, je n'arrive pas à ressentir la répulsion que les autres hommes m'inspirent, surtout en pareille situation. C'est tout bonnement au-dessus de mes forces de considérer le jeune homme comme une menace ou un malotru.

J'aime votre main et vos caresses, ma Dame. Quant à qui je suis, j'avoue ne pas comprendre la question. Je suis Pan, ne vous l'avais-je pas dit ? On m'appelle parfois aussi le Grand Tout, mais je suis juste moi, je suis juste Pan.

Ma question tombe à plat et je peux le comprendre, il est très indiscret de demander à quelqu'un ce qu'il est. Me voilà presque plus perdue qu'au départ mais ce n'est pas grave. Peut-être est-ce le signe que je ne devrais pas me poser trop de questions et plutôt profiter moi-aussi du présent en sa compagnie. Je passe la langue sur mes lèvres, à la fois brûlante et glacée, mes doigts déjà impatients pour un nouveau contact.

Juste Pan...c'est déjà beaucoup. M...merci de m'avoir laissé...examiner de plus près votre personne.

Mon regard fuit, tente de ne pas se poser sur ce qui occupe pourtant mon esprit et je croise les jambes comme si cela pouvait changer quelque chose, les lèvres entrouvertes sans trouver quoi dire. Pendant que j'agis comme la pire des hôtesses, un bouc (totalement cette fois) vient renifler Pan, visiblement très intrigué. Il donne de petits coups de cornes, émet des bruits rauques pour attirer son attention et pose ses pattes sur ses cuisses pour se redresser de toute sa hauteur. Si j'étais d'humeur taquine, je dirais qu'il s'agit d'une parade de séduction mais ce serait très étrange.

Atreus semble vous apprécier.

Le comportement enthousiaste du bouc me surprend et m'amuse tout à la fois, c'est la première fois qu'il est si...entreprenant et joyeux. Lorsqu'il est arrivé il y a de cela des décennies, c'était un marin d'une quarantaine d'années à la barbe fournie et qui avait passé de longues heures à me compter des histoires pendant que ses compagnons buvaient en l'écoutant. Il n'était pas le plus raffiné des hommes mais sa voix rauque pouvait bercer les Titans et nous avions passé un agréable moment.

A présent, il semble qu'il recherche la compagnie de mon invité qui, encore une fois, ne semble pas particulièrement mal à l'aise. Sa main qui semble souvent encline à guider les caresses se pose sur l'intimité d'Atreus pour le masser d'une façon qui semble lui plaire. Si j'étais moins gênée, je songerais peut-être à prodiguer pareils soins à mes amis afin qu'ils se sentent heureux mais quelque chose dans le geste me rend nerveuse.

Altreus me semble être aussi en forme que moi, Ma Dame, ce doit être votre beauté qui trouble les âmes. Vous me semblez vous aussi être quelque peu émoustillée. Avez-vous déjà effleuré votre fleur au nectar doré ?

La question me surprend, je n'en comprends hélas pas le sens. Pourquoi me parler de fleur dans un tel contexte ? Je secoue la tête en fronçant légèrement les sourcils, presque attristée de ne pas être assez savante pour décrypter son langage. Cependant quelque chose dans son intonation, dans son sourire me laisse à penser que ce n'est pas sans rapport avec la façon dont il calme le bouc. La perspective que sa main se pose de la même façon sur ma personne me laisse songeuse, figée entre mon esprit qui refuse et mon corps qui se tend un peu plus. Ce n'est pas la fièvre qui me prend, j'en connais les symptômes mais ce qui brûle en moi est tout aussi violent.

Je crains de ne pas savoir à quoi vous faites allusion mais cette ile possède de superbes fleurs si vous souhaitez les voir et aussi une cascade où vous pourrez vous reposer après votre voyage...

Le repas n'a pas produit les effets escomptés et Pan reste mon hôte pour un temps encore inconnu alors le moins que je puisse faire, c'est de le laisser prendre ses aises en se lavant s'il le désire, en se promenant s'il en a envie. Je dois admettre que me plonger dans une onde fraîche me semble une bonne idée, je sens le fin tissu de ma tunique pressé contre ma peau moite et il me semble avoir besoin de me remettre les idées en place. Atreus, visiblement très content et satisfait, émet un bruit de remerciement en léchant les doigts de Pan avant de s'éclipser.

L'idée de profiter de l'eau fraîche semble plaire à mon invité mais il me semble de plus en plus difficile de l'imaginer autrement qu'exprimant une joie et un contentement sereins. Vient-il d'un monde où l'on ne connaît pas la peine ? Si je ne devais pas veiller sur mon île et ses habitants, je crois que je serais tentée de l'accompagner pour découvrir son univers, savoir enfin s'il est le seul de son espèce ou s'il existe d'autres être hybrides. Je me demande aussi s'il est le plus attirant mais la question n'a que peu d'importance.

A présent qu'Atreus n'est plus collé à lui, le jeune 'homme' se lève et m'offre son bras, semblant encore...raidi après cette rencontre, moi qui espérais le détendre durant le repas. Je me rends compte à présent d'à quel point il est rare que je me lève de cette table accompagnée. Oh bien sûr, il est arrivé que mes convives restent sur leurs deux jambes un peu plus longtemps que pour un banquet mais le plus souvent, tout se passait très vite.

Je crois avoir devant moi la plus belle fleur de ce jardin, mais j'accepterai volontiers de me baigner à vos côtés au chant de cette cascade que vous me contez.

Le verbe de Pan est toujours si joli, presque musical et je prends son bras avec plaisir en écoutant le son de sa voix, ni rude, ni bruyante, et aussi mélodieuse que le chant d'un oiseau. Tout comme lorsque j'ai touché sa jambe, un frisson délicieux me parcourt en m'accrochant à lui, il y a quelque chose de très agréable à me tenir si près de lui, à le toucher. Après son épaisse toison caprine, c'est au tour de sa peau humaine de subir la timide caresse de ma main alors que je le guide hors de la demeure à travers les jardins et la plaine jusqu'à la cascade qui chuchote en déversant son eau cristalline. Entourée d'un tapis moelleux d'herbes et de fleurs, c'est réellement mon endroit préféré de l'île, là où j'aime à passer des heures en compagnie de mes amis en écoutant simplement les murmures de l'onde.

Permettez...

Si mon invité est déjà dans le plus simple appareil, ce n'est pas mon cas et je m'écarte presque à regret de Pan pour pouvoir me défaire du tissu pourtant fin qui me donne si chaud. Puisqu'il n'a rien tenté pour me nuire et qu'il est gentil, je n'éprouve pas vraiment d'hésitation à l'idée de paraître nue devant lui. Un corps n'est qu'un corps et ce ne serait pas à moi de réfréner les désirs que j'inspire. Pour ma plus grande joie, je ne semble pas allumer de feu chez le jeune homme alors mes craintes sont inexistantes.

Vous verrez, elle est pure et très agréable.

A pas lents, je me glisse dans l'eau en frissonnant légèrement, la surface rafraîchissant la fièvre sur ma peau d'une façon bienvenue. Les quelques poissons qui peuplent l'endroit effleurent mes chevilles pour me saluer, curieux de savoir qui est ce nouvel arrivant aux pieds fourchus.

L'endroit semble plaire à Pan, j'en suis très heureuse et l'idée qu'il demeure sur l'île quelques temps m'effleure l'esprit, j'aimerais beaucoup le garder parmi mes amis, ne serait-ce qu'un jour ou deux. Il a beaucoup de charme, il parle bien et il semble perpétuellement de bonne humeur, comme si aucune peine ne pouvait l'atteindre.

Je suis ravie que cela vous plaise, c'est mon refuge et tant que vous serez ici, considérez-vous chez vous et venez vous baigner autant que vous le voudrez.

Je laisse l'eau glisser sur mes membres, me plongeant jusqu'à la poitrine dans l'espoir de calmer l'ardeur de ma chair, la dureté de mes seins qui me gêne légèrement. Un petit poisson vient profiter de l'occasion pour glisser contre mon ventre, ses écailles scintillant d'éclats d'or et de feu dans l'eau pure. M'immerger me fait me sentir plus libre et je prends le temps d'apprécier la sensation avant de reporter mon attention sur Pan, espérant le voir tout aussi à l'aise. Il a l'air content et curieux, je suis ravie de pouvoir lui en dire plus sur ce petit coin de paradis, jouant à agiter mes doigts pour créer des rides à la surface, quelques algues effleurant mes jambes.

Bien avant que je ne vienne vivre sur cette île, une limnade du nom de Anysia tomba amoureuse d'un roi à la peau noire comme la nuit. Elle l'enleva avec l'aide de ses soeurs et l'emmena sur cette île pour l'aimer à son aise. Leur passion fut si forte, si belle qu'ils ne fondirent en une cascade qui abreuve à présent ces lieux, formant le lac dans lequel nous nous trouvons. J'aime à penser que c'est leur amour sans failles qui rend l'onde si claire et si bonne, presque sucrée.

Je recueille un peu d'eau dans le creux de mes mains, la buvant avec un sourire, songeant que ce geste constitue une bonne fin pour mon histoire. A mes yeux, c'est une légende très agréable et si je ne songe pas à connaître un jour le même destin, à aimer de toutes mes forces, j'aime l'idée qu'elle transmet.

Parlez-moi encore de vous, Pan, j'ai envie de vous connaître.

Achevant mon récit, je tourne mon regard vers Pan en espérant apercevoir une réaction positive sur ses traits. Il semble perdu dans ses pensées, les paupières mi-closes alors qu'un soupir s'échappe de ses lèvres. Je ne sais quoi en penser, il me semble que cela a à voir avec le geste qu'il exécute sur le bas de son anatomie. Evidemment, la politesse la plus élémentaire m'empêche de l'interroger alors je me contente d'évoluer dans l'eau en le laissant se prélasser à son aise cependant que le son de son exultation persiste dans mon oreille. Il me rend curieuse d'une façon que je ne comprends pas vraiment.

Je suis le fils d'un dieu et d'une nymphe. Il y a bien longtemps je suis né dans l'écrin même de la nature et j'y ai poussé mon premier cri avant de grandir dans cet endroit que les dieux appellent Olympe. Mais j'ai longtemps joué et évolué parmi la nature et les nymphes qui furent presque celles qui m'élevèrent. Un jour j'ai vraiment quitté le domaine des dieux pour ne vivre que de légèretés, d'eau fraiche et de voyage. J'en ai connues de contrées lointaines et des gens de tout type et de toute couleur. Oh Ma Dame si vous saviez comme le monde est vaste et certains êtres dignes d'être rencontrés.

Pour mieux l'écouter, je m'approche, penchant la tête sur le côté alors qu'il me narre sa naissance, évoquant ses voyages bien au-delà de ce que je connais. Savoir qu'il a un moment vécu sur le mont Olympe m'impressionne, je dois bien l'admettre. Pendant un bref instant, il me donne envie de quitter mon île, d'explorer ce monde dont je ne sais rien et dont il parle avec tant de charme et de chaleur. Mais je ne puis...que deviendraient mes animaux ? Ais-je vraiment ma place hors de mon cocon ? C'est stupide, je suis âgée et pourtant, je garde en moi une peur de l'inconnu qui irait mieux à un nourrisson. Il n'empêche qu'en écoutant cet être particulier, je me demande si d'autres sont aussi fascinants, aussi intéressants que lui.

Les mots coulent de votre bouche comme du miel, l'immensité semble accueillante avec vous, vous êtes un très bon conteur.

Je souris sans prendre conscience que j'ai pris sa main dans la mienne, songeuse quant à ce qu'il me dit. Est-ce égoïste de préférer les garder, lui et ses histoires, auprès de moi un court instant plutôt que de me risquer à partir de mon paradis ? J'aime à penser que chacun est libre en cette île, libre d'être heureux à mes côtés mais je n'ai nullement l'intention de conserver Pan à jamais. Il n'est pas comme les autres, il a cette chaleur, attirante comme une flamme, qui n'appartient qu'à lui et qui ne pourrait s'épanouir ici. Il est évident, à l'écouter, qu'il ne tient pas en place, être de nature et de légèreté porté par le vent et les flots. En tant qu'hôtesse, je ne peux que profiter de sa présence en espérant comprendre et apprivoiser cette curiosité et ce picotement qu'il déclenche en moi.

Des êtres dignes d'être rencontrés ? J'avoue n'avoir connu que l'Homme et quelques nymphes au cours de ma vie, parlez-moi des autres. Sont-ils de vos amis ? Je suis sûre qu'aucune créature sur cette terre ne peut ne pas vous aimer. Avez-vous rencontré des sirènes ? Des êtres aussi merveilleux que vous ?