x

J'entends le renard

La nature a fait l'homme heureux et bon, mais la société le déprave et le rend misérable. - Rousseau

De lourds nuages s'amoncellent au-dessus de la ville, annonciateurs d'une averse qui risque d'en transir plus d'un. L'hiver arrive, pas encore paré de son manteau de fourrure blanc et joyeux mais plutôt avec sa grosse doudoune crasseuse, le genre que l'on porte pour sortir les poubelles ou fumer un peu (je suppose). Pour ma part, je resserre comme je peux les pans de ma veste en marchant plus vite, les bras chargés de sacs. C'est un peu le problème lorsque l'on vit dans une petite ville -et encore "petite" n'est pas le terme le plus approprié - on se révèle parfois un peu optimiste sur le fait d'aller faire les courses à pied.

Une épaisse masse recouvre le soleil l'espace d'un instant, j'accélère encore un peu, au risque de faire tomber la bouteille de soda qui ne tenait déjà pas bien sous mon bras. La vicieuse roule, sautille, s'amuse beaucoup trop à me fuir en glissant entre deux bâtiments. Parce que c'était la dernière du rayon, je me presse pour la rattraper, j'aime beaucoup trop les boissons au citron, ça causera sans doute ma perte. Disons que j'achète parfois du vin mais que j'ai quelque peu perdu l'envie de consommer une bonne bouteille ces derniers mois. Peu importe, je course l'insolente qui vient rebondir contre une forme recroquevillée.
C'est une personne !

L'épaisse masse de fourrure qui entoure le corps gracile remue légèrement avec la brise, je me demande s'il s'agit d'un costume ou si cette personne, qui qu'elle soit, est affligée du même trouble que Hélios. Dans tous les cas, l'absence de vêtements sous une météo si peu clémente n'est pas une bonne idée et je m'approche doucement en essayant de savoir si je connais l'individu. Et surtout, s'il a besoin d'aide.

Vous m'entendez ? Est-ce que tout va bien ?

C'est peut-être un peu prématuré mais je regarde alentour de quoi couvrir ce qui semble être...un être plutôt jeune et particulier. Je n'ai pas de manteau à lui prêter mais il commence à faire vraiment froid.

J'entends le renard

La nature a fait l'homme heureux et bon, mais la société le déprave et le rend misérable. - Rousseau

En m'entendant approcher, la silhouette remue, se recule précipitamment contre le mur en retroussant les lèvres pour émettre un son de menace qui a tout de celui d'un animal plutôt que d'un être humain. Au premier abord, il semble s'agir d'un mâle, plus jeune que moi, le regard brillant de méfiance et les membres tendus sous une fine fourrure rousse. Semblant tout à fait désemparé, l'individu se tord, roule, se cache et agite les bras pour me chasser. Sans doute vaut-il mieux ne pas le déranger mais il est évident que quelque chose cloche, il est totalement déboussolé. Est-ce qu'il vient tout juste d'arriver ? Ou quelque chose de particulier lui est-il arrivé ? Hélios avait toute sa tête malgré la transformation, peut-être un goût plus prononcé pour certaines choses félines mais rien de trop flagrant.

Calmez-vous. S'il vous plaît. Moi, c'est Arwen. Je ne vous veux pas de mal.

D'autres seraient plus avisés que moi pour aider cette personne mais hélas, aucune n'est là. En tant qu'infirmière, il y a bien quelque chose que je puisse faire. L'amener à l'hôpital me semble exclu, pas immédiatement. Les nuages continuent de s'agglutiner, le temps presse avant qu'il ne pleuve. Je lève une main en restant à bonne distance.

J'aimerais vous aider. D'accord ? Tenez...

Je fouille dans l'un de mes sacs (dommage pour les surgelés) et lui tend ce qui me semble le moins dangereux pour tout organisme, à savoir une pomme.

J'entends le renard

La nature a fait l'homme heureux et bon, mais la société le déprave et le rend misérable. - Rousseau

La tentative de diversion semble fonctionner, le fruit étant rapidement happé par l'individu qui était réellement affamé. Je dois bien admettre que je l'observe dévorer la pomme avec un certain intérêt, même en prenant en compte tout ce que j'ai pu connaître jusqu'ici, c'est une créature bien étrange qui se terre ici entre les poubelles. Son corps est à mi-chemin entre deux univers, deux entités qui m'ont l'air de se disputer un peu, il n'y a qu'à voir ses gestes vifs mais maladroits, malhabiles. Qui serait le plus à même de l'aider ?

Ma maigre offrande est avalée en quelques coups de dents et je m'approche de quelques pas avant de lui en tendre une autre, hésitante quant à la conduite à tenir. Impossible de l'emmener à l'hôpital, trop de monde, trop de bruits et de lumières. La seule vétérinaire que je connaisse se trouve au zoo et ce serait tout à la fois malvenu et trop loin pour y déposer ce petit. C'est sans doute une mauvaise idée mais je m'approche encore, en parlant tout doucement dans l'espoir de ne pas l'effrayer davantage, les premières gouttes glacées commençant à tomber du ciel.

Il va pleuvoir sous peu et vous avez probablement froid. Ce n'est pas bon de rester ici...

Je sors mon parapluie, me retourne pour l'ouvrir avec des gestes lents avant de tendre le bras le plus possible pour mettre le tissu tendu au-dessus de la tête de l'hybride. Est-ce qu'il verra que je ne lui veux aucun mal ? Que c'est une (maigre) tentative de le protéger ? Que disait St Exupéry déjà, sur le fait d'apprivoiser un renard ?

J'entends le renard

La nature a fait l'homme heureux et bon, mais la société le déprave et le rend misérable. - Rousseau

Les bruits qui sortent de la gorge de cet individu n'ont rien de commun, oscillant entre des appels humains et quelque chose de plus animal, ni rauque ni aigu, tout en fluctuations. L'idée qu'il puisse, par ces appels, faire venir des congénères me traverse rapidement l'esprit mais à le voir si désemparé, je soupçonne qu'il est le seul de son espèce. En tout cas, il ne m'égorge pas lorsque j'approche avec le parapluie, c'est plutôt une bonne nouvelle.

Un éternuement tout à fait reconnaissable le secoue tout entier et l'être hybride se recroqueville encore plus si c'est possible. L'expression de son visage et le tremblement de ses membres traduit une forte fatigue. Si je n'agis pas tout de suite, il risque de tomber sérieusement malade, ou pire. Mais comment le déplacer...? Difficile de le porter, même s'il ne semble pas bien lourd. Oh, bien sûr, je ne manque pas de force (quand on traîne avec les ménades...) mais c'est sûrement qu'il ne me laissera sans doute pas le toucher, encore moins le soulever. Alors je tente une autre approche, en croisant les doigts intérieurement.

Venez. Je vais vous mettre à l'abri, au moins le temps que la pluie cesse. Chez moi, vous aurez de quoi vous réchauffer, vous nourrir aussi, et dormir à l'abri.

Est-ce qu'il me comprend? D'une main, j'esquisse des gestes pour appuyer mon propos et me recule en gardant le parapluie au-dessus de lui. Un pas, deux pas en arrière, mes courses pendues à un seul bras pour en garder un libre. Il faut qu'il bouge, même si c'est pour m'égorger. Quoique non, je ne préfère pas. Allez...