L’enseigne m’intrigue, la devanture m’appelle d’une bien étrange façon. Je ne saurais dire avec certitude ce qui me pousse à pénétrer dans une cave à vin, surtout après ce qui s’est passé la dernière fois que j’ai bu. Au fond, ce n’était pas un moment désagréable, je ne saurais dire si j’ai des regrets mais il y a en moi une part de culpabilité que je ne parviens pas à effacer, telle cette tâche de sang dans le conte avec le noble à la barbe bleue. C’est peut-être alors pour mieux tenter de me souvenir douloureusement de ce que j’ai perdu que je pousse la porte de l’Ampélos, esquissant un sourire devant ce nom si familier. Je me demande si le ou la propriétaire ne fut pas une ménade, un satyre que j’aurais rencontré il y a longtemps. Oh, s’il vous plaît, faites qu’il s’agisse d’un ami, d’un de mes enfants. Mais les prières sont rarement entendues dans ce monde.

Il y a ce petit quelque chose de particulier, d’élégant qui rend l’endroit accueillant mais pas de la même façon qu’un café ou un bar. L’odeur du liège et de l’alcool a cet arôme réconfortant sur ma langue et je ferme les yeux un bref instant pour mieux m’imbiber, m’imprégner de ces effluves qui me rappellent bien plus la maison que les senteurs de Crète. Lorsque je les rouvre, c’est juste à temps pour apercevoir un homme d’une quarantaine d’années venir vers moi pour me proposer une table. Bien vêtu et sentant très légèrement le produit qu’il vend, il me semble tout de suite sympathique sans que je cherche à comprendre pourquoi (j’aime tout le monde de toute façon). Il me guide tranquillement, élégant et assuré, ce qui me laisse penser qu’il n’est peut-être pas qu’un simple serveur mais il est encore trop tôt pour le dire. Et puis, je n’ai jamais été douée pour les devinettes. Alors qu’il me tend la carte, il fait la conversation et je m’engage dans le dialogue sans aucune gêne, souriant en détaillant légèrement cet homme qui est plus que séduisant et qui dégage une chaleur plus vive, plus franche que d’autres personnes que j’ai pu croiser.

Qu’est-ce qui vous amène ici ce soir ?

Excellente question à vrai dire, je ne peux pas répondre que c’est simplement la curiosité qui m’a poussé à entrer dans ce lieu. Hum, j’ai peut-être une idée, ce n’était pas totalement prévu mais puisque je dois, de toute façon, présenter mes excuses à un ami…

Je suis à la recherche d’une bouteille à offrir, pour un ami cher qui a pris soin de moi. Vous auriez quelque chose à me conseiller en particulier ?

Offrir de l’alcool n’est sans doute pas la meilleure idée du monde mais je pense qu’Alessandro appréciera une bonne bouteille, il a le palais fin. Et puis, il trouvera toujours une occasion de la boire, seul ou accompagné. Sans y penser, je regarde autour de moi pour admirer les bouteilles, la décoration, les tonneaux dans la lumière tamisée.

C’est très joli ici, j’aurais dû venir plus tôt.

Je me doute que demander à un inconnu de choisir un vin pour une personne qu’il ne connaît sans doute pas est une tâche ardue, très ardue et je creuse dans ma mémoire pour essayer de trouver un indice, quelque chose pour aider le taulier à mieux m’orienter vers telle ou telle bouteille. Il peut bien me conseiller la plus chère de la carte, cela ne me gênera pas. Certains amis méritent le meilleur et Alessandro est de ceux-là.

Le compliment sur les lieux semble aller droit au cœur de l’homme près de moi (à moins que je ne me trompe lourdement) et il sourit, le genre de sourire qui déclenche une petite bulle de chaleur dans le cœur. Je m’attarde un instant sur ses prunelles claires, d’un bleu qui retient mon attention sans que je comprenne réellement pourquoi. Le visage m’apparaît comme un joli masque mais ces yeux…ces yeux disent bien plus que les inflexions de sa voix, les marques d’expression sur sa peau. Mais il n’est pas poli de dévisager les gens ainsi, même s’il s’agit d’un ami disparu, d’un satyre ou autre, je ne devrais pas le décortiquer ainsi. A croire qu’une part de moi en a assez des mascarades, d’être incapable de reconnaître qui que ce soit dans cette ville. Versatile, moi ? Jamais.

Je vous remercie. Ici, nous apprécions les valeurs de la nature… Est-ce votre cas ?

Oui, beaucoup. Ça doit expliquer pourquoi je passe tant de temps en forêt… Cette cave est un coin de nature agréable en pleine ville.

Sans doute que si ce monde était réduit à des bâtiments et du bitume, je deviendrais folle… Pouvoir profiter du calme, marcher entre les arbres et humer les parfums alentours me permet de retrouver mon calme dans n’importe quelle situation. La plage aussi est un endroit très apaisant mais il semble que je n’étais pas venue disserter des beautés du paysage de Mirapolis et je crois que ce pauvre homme n’est pas assez payé pour entendre mes éventuels babillages.

Quant à votre requête, je pourrais me faire un plaisir de vous chercher la bouteille idéale, néanmoins… Il va me falloir quelques informations sur votre ami. Puis-je m’asseoir afin que nous en discutions ?

Je vous en prie…

« Avec plaisir » ais-je envie d’ajouter. Pitié Arwen, essaie de sourire avec un peu moins…d’enthousiasme, tu vas te faire mal à la mâchoire à force. Mais je ne peux pas m’en empêcher, peut-être parce que cet endroit me plaît, parce que l’homme en face de moi est charmant à sa façon ou parce que c’est dans ma nature. Au pire, il prendra peur et laissera un collègue s’occuper de cette étrange cliente ou alors il réglera l’affaire rapidement. Pour l’heure, il faut que j’aide un peu le taulier à trouver le meilleur vin, il en existe tant et chacun est unique, chaque cépage raconte sa propre histoire, transmet ses propres émotions, peut mener à telle ou telle fin ou folie. Mon chéri…je te revois excité et savant, dissertant pendant des heures sur du jus de raisin (je plaisante !).

C’est un homme plutôt cultivé qui apprécie les arts, la finesse. Il dégage une impression de calme élégance et pour une raison obscure, je le vois bien boire du blanc. Il a une façon bien à lui d’être dans la retenue tout en laissant deviner de la malice et il me fait parfois penser à un sage des temps anciens…avec l’œil tout aussi taquin… Navrée, je dis ce qui me passe par la tête et ça n’a aucun sens.

Je ris en haussant les épaules, un peu désolée de faire perdre son temps à ce pauvre homme. Un peu seulement car je n’ai pas envie qu’il reparte. Il est assez plaisant de discuter avec quelqu’un autrement qu’en le poussant sur un brancard ou en lui prenant sa température alors je ne vais pas me gêner.

Peut-être devrais-je montrer moins d’enthousiasme à décrire Alessandro, surtout que mes qualificatifs ne sont pas vraiment utiles pour orienter le choix du tôlier qui pourtant ne se moque pas de ma volubilité. Je ne pense pas que ce soit du simple professionnalisme, il semble réellement sympathique et chaleureux. Ou alors, je me trompe totalement mais j’ai appris à suivre mon instinct et cet homme dégage quelque chose de particulier.

Oh non, j’aime votre façon de décrire ceux qui vous sont proches…Cela donne envie d’être proche assez pour que vous me décriviez de pareille façon.

Se rend t-il compte qu’il s’est légèrement rapproché ? Je peux sentir les légers effluves témoignant qu’il apprécie sa marchandise mais je suis loin de le juger ou de trouver ça désagréable. Etrangement, une partie de moi a envie qu’il s’avance encore, mes doigts picotent à l’idée de toucher sa barbe (mais sinon, je vais très bien). Je souris sans me reculer, me demandant si un jour, je serai amenée à le décrire comme je viens de le faire pour mon ami. Peut-être. Qui sait ? Evidemment, sans le pas de côté d’il y a quelques temps. J’ai déjà failli une fois au serment prêté il y a bien longtemps.

C’est avec une pointe de regret que je vois cet homme se redresser comme s’il se souvenait brusquement qu’il doit rester pro. Quel dommage.  Il a quelque chose de l’endormi dans sa façon d’être, sursautant entre le rêve et le réel. J’espère qu’il ne trouvera pas d’idée de bouteille avant un moment, rien que pour rester encore un peu, pour le voir osciller. Mais voilà qu’il trouve une idée, prenant une bouteille en m’en faisant le descriptif, les yeux brillant légèrement en parlant. C’est un passionné. Je me surprends à me pencher légèrement, la joue appuyée sur ma main pour mieux l’écouter, comme avant avec un autre féru. Je me demande ce qu’il en penserait, en tout cas cet homme sait vendre son produit. Il me propose de remplir mon verre et j’acquiesce.

Avant de me figer, une boule immense dans le cœur.

Les mots qui sortent de sa bouche n’ont pas de sens, je ne les entends même pas, occupée à détailler cette façon si unique de verser le vin. C’est comme une gifle, ma main tremble légèrement alors que je cherche à reprendre mon souffle, le fil de mes idées. Est-ce une projection ou est-ce réel ? Je ne devrais pas être si bouleversée, ce n’est qu’un geste qui a pu se transmettre à travers le temps. Mais il n’empêche…

Merci…je suis sûre que votre choix est parfait…

Ma voix est bien trop faible, c’est un murmure et je secoue la tête en essayant de chasser le voile de souvenirs qui m’aveugle encore. J’essaie de sourire en remuant légèrement le liquide, l’observant avant de porter le verre à mon visage. Je le hume, espérant que les vapeurs d’alcool me réveillent puis je bois une gorgée, hochant la tête en un mouvement appréciateur.

Excellent…très subtil avec des arômes de poire mais épicé. Je crois qu’il aimera sa longueur en bouche.

J’aimerais dire le contraire mais le cœur n’y est pas vraiment, je repose le verre en songeant que ce pauvre homme n’a pas à voir que je suis chamboulée, il fait simplement son travail et de plus, il est plutôt agréable. Reprends-toi, Ariane, vous passez un bon moment, ne le gâche pas avec ta nostalgie d’antiquité. On dirait cette vieille femme dans le film avec le bateau qui coule et le collier bleu.  

Quelque part, de goûter le vin sur ma langue me permet de me reprendre un peu et de chasser au loin la vague de mélancolie qui a brusquement glissé sur mon coeur. Paradoxal, non ? Les gestes ont perduré dans le temps et je prends le temps d'apprécier chaque aspect du liquide, de sa couleur à son parfum, toutes ses étapes que j'ai apprise et qui me reviennent. Le jeune homme semble un instant inquiet de me voir silencieuse mais son visage se réchauffe bien vite et il me souffle aimer la façon dont je goûte son produit. En tant que passionné, il doit apprécier de ne pas voir les clients siffler les bouteilles pour le plaisir de se rincer le gosier.

C'est que votre vin donne envie de prendre son temps, d'apprécier.

C'est sincère, je me sens bien ici et je songe ne pas avoir envie de repartir tout de suite. Cette cave, cette atmosphère, cet homme, me mettent à l'aise. Près de moi, le tôlier semble plongé dans ses pensées et me fixe avec une intensité amusante. Il est vraiment si investi dans son travail ? J'aimerais posséder cette façon de se plonger corps et âme dans quelque chose, jusqu'à le sentir dans chaque fibre de son être. En tout cas, il me fait sourire, cet homme aux yeux brillants et dont la barbe m'intrigue.

Vous me plaisez beaucoup, madame, je dois le reconnaître. Cela vous dérangerait de goûter d’autres vins en ma compagnie ? Ne voyez pas là une tentative de flirt, mon cœur est déjà pris. Je suis juste un passionné de vin, qui sait reconnaître ceux qui l’aiment…

Il est réellement, totalement et éperdument amoureux de son vin...voilà un homme selon mon cœur. Ce qui me plaît surtout, c'est de savoir que ni lui ni moi ne chercherons à faire glisser les choses, qu'il parle ou non d'un être cher. Je ne le fais pas languir longtemps et hoche la tête avec un grand sourire, amusée de le voir si vivant, si chaleureux et solaire. J'espère le compter un jour parmi mes amis, jamais depuis mon arrivée dans cette ville, je ne m'étais sentie si proche de quelqu'un. Cette impression d'être fait du même bois...c'est intéressant.
Il ajoute avec un sourire radieux que je pourrai le défier, il a l'air extrêmement sûr de lui et je ne suis pas sûre d'avoir envie de le titiller sur son terrain. Mais la perspective de rester un peu en tête à tête à goûter de bons vins est plus qu'enthousiasmante. Pour sceller notre accord, je repousse mon verre pour lui tendre la main, plongeant mes prunelles rieuses dans son regard tout aussi pétillant.

Entendu mais à une condition : pourrais-je vous appeler par votre prénom ou au moins votre nom ? Que je sache qui je défie. Moi, c'est Arwen, ravie de rencontrer un passionné.

Mon chéri, mon amour, je pense que tu aurais adoré l'homme qui se tient devant moi. Ou alors, tu l'aurais détesté car il est ton reflet, plus pâle, plus flou mais la preuve que ta douce folie s'est transmise dans tes créations. Le vin rend les gens heureux, même après des siècles.

L'ambiance est chaleureuse, je dirais même taquine et nous jouons sans arrière-pensée autour d'une bouteille de bon vin. Cette simplicité me plaît beaucoup, comme nous étions sur la même longueur d'onde et je reprends une gorgée en attendant de connaître enfin son nom car plus les secondes passent plus je suis curieuse envers cet homme si particulier mais si franc qui aurait plu à celui que j'aime.

Enchanté, miss Arwen. Moi… Je me nomme Winslow, mais les habitués de ce lieu m’appellent Dio.

La température chute de plusieurs degrés et je me remets à sentir cette amertume qui m'avait déjà troublée au risque de gâcher ce moment. C'est juste...beaucoup trop de coïncidences et même si j'associe les pièces d'un puzzle qui n'existe pas, la sensation d'être au bord d'un gouffre ne s'efface pas si facilement. Se pourrait-il ? Non...j'ai déjà trop souvent laissé les fantômes du passé m'aveugler au point de ne pas savoir apprécier le présent, je ne devrais pas émettre des hypothèses de la sorte. Mais franchement !

S'il s'agit de mon époux et qu'il a réellement décidé de s'appeler Winslow Dio...oh bon sang, ça lui ressemble tellement ! Dieu que j'aime mon époux mais il a toujours eu l'humour plus fort que la raison. Mais rien plus fort que le raisin. Alors que je suis de nouveau plongée dans mes interrogations, le jeune homme se lève avec un grand sourire, il a l'air tellement impatient d'être mis à l'épreuve. Ce nom, cet endroit, cette façon de verser le vin...Si ce n'est pas lui alors c'est le tour le plus horrible que j'ai jamais vu. A présent, il faut que je trouve comment mettre à l'épreuve ses connaissances, comment lui faire tomber le masque. Non, je n'aurai aucune subtilité, je préviens d'avance.

Que me recommanderiez-vous pour des retrouvailles avec un amour perdu ? Quelque chose pour dire "je t'aime, tu m'as manqué et tu es un idiot" ?

Je m'approche sans trop savoir ce que j'ai envie de faire, le toucher ou rester loin, je ne suis même pas sûre d'avoir envie d'avoir raison. Si c'est lui...si ce n'est pas lui. Plus je le regarde et moins je pense clair. Néanmoins je souris en me prêtant au jeu, regardant les bouteilles autour de nous.

Attention, je veux un vin vieux, quelque chose de rare voire d'unique comme une comète, quelque chose qui viendrait de loin car c'est toujours plus intéressant. Voilà Dio, épatez-moi...

Je vous avais prévenu que la subtilité n'était pas mon fort, je sais jamais si je suis trop évasive ou pas assez. Sur ma langue glisse tout à coup le goût d'un nectar spécial bu il y a longtemps, très longtemps sur une plage sous la voûte céleste illuminée d'un millier d'étoiles. Impossible qu'un tel vin existe encore, on ne gardait pas de bouteilles à l'époque et c'était tellement...particulier par rapport à aujourd'hui. Plus de cratère, plus d'épices, tout n'est que douceur et le feu d'antan n'est qu'une étincelle.

Il n'empêche -et je ne pense pas vous vexer tant vous semblez passionné- mais vos patronymes vous destinaient à ce métier. Dio surtout...c'est un joli nom à mon oreille, vos habitués ont bien choisi.

Il est probable que je me sois montrée trop exigeante et taquine dans ma demande de vin, je crois au fond avoir totalement cherché à le piéger et le bloquer dans une impasse mais ça fait partie du jeu. Ce que j'aime le plus, c'est qu'il semble réellement réfléchir à la question, ses yeux bleus devenant vagues alors qu'il fouille dans son esprit. Je lui souris en attendant patiemment, regardant les bouteilles soigneusement rangées autour de nous dans ce décor de pierre et de végétation.

Winslow s'amuse lui-aussi de ses patronymes et me confie son nom de famille, non sans faire remarquer combien tout en lui le lie au vin. Je sais l'entité supérieure qui nous surveille peu subtil et très encline aux plaisanteries vaseuses mais tout de même, il faut bien que cet homme lui-même ait choisi de tout faire pour se confondre avec son produit ! Je ris en hochant la tête, c'est effectivement très drôle. Et déroutant. Bon sang, si je pouvais être sûre qu'il ne s'agit pas de mon époux...

A ce stade, il ne servait à rien de lutter contre les signes. Je dois admettre que le mien, Evohé, me prédestine à de folles escapades dans les bois pour danser et boire jusqu'à la folie mais sans personne pour m'accompagner, c'est moins amusant.

Aucune invitation perverse de ma part, je faisais simplement une remarque en espérant ne pas éteindre ce si beau sourire qui éclaire le visage de mon hôte et fait apparaître de petites ridules au coin de ses yeux. Cependant, si jamais mon soupçon se révèle fondé, il faudra bien que de son côté, il additionne les pièces du puzzle, même si celles qui le concernent semblent énormes et colorées, taillées pour un enfant de 4 ans (Winslow Dio Boivin, sérieusement ?!). Ses pensées retournent au vin et je l'y suis volontiers. Il s'avoue vaincu, ce n'est pas bien grave, le plaisir n'est pas tant dans la réussite que dans le jeu lui-même. Tout pour que ce moment dure, encore un petit peu.

…Aviez-vous une autre idée ? En tout cas vous…Êtes plutôt originale, je savais bien que j’ai bien fait de vous demander.

Est-ce que quelque chose en moi vient de sautiller, pas du tout. Il est totalement impossible que pendant un bref instant, je me sois sentie sur le point de glousser bêtement, jeune fille un peu perdue sur le sable devant un être divin. J'ai passé l'âge de tortiller une mèche de cheveux autour de mon doigt mais...il me donne envie de sourire, c'est indéniable. Et irrépressible.

Etonnez-moi, je suis sûre que vous avez d'excellentes bouteilles à faire découvrir. Je ne sais pas pour vous mais j'ai toute la nuit devant moi.

 Je pourrais vous accompagner, un jour, j’adore faire la fête, danser et boire… Et la folie bien sûr.

Pourquoi cela ne m'étonne pas le moins du monde ? Sans dire que je connais cet homme, il me semble commencer à être capable de deviner certaines de ses réactions ou remarques. Peut-être aurons-nous l'occasion de nous revoir ailleurs que sur son lieu de travail (ou le mien) afin de continuer à bavarder tout notre saoul. Ce genre de conversations, sans prise de tête, tout dans le rire et la légèreté, me manque et même si je ne crache pas sur la compagnie de mes amis, la gaieté de Maëllis, la douceur de Hélios ou le charme d'Alessandro, ce caviste a quelque chose de particulier qui pousse à la joie. Peut-être que c'est ce qu'il dégage, à moins que ce ne soit le vin qui parle. En parlant de vin et de folie, devrais-je le confronter ?

Peut-être que non, il est probablement plus sage de profiter de cet instant en tant que tel avant d'y ajouter des devinettes, des questions trop précises et de risquer...une déception en découvrant qu'il ne s'agit pas de lui ou, au contraire, que c'est bien mon époux assis en face de moi mais qu'il a commencé une nouvelle vie. Quoique ce Winslow ne semble pas avoir de bague à son doigt ou même de compagne (ou compagnon) de ce que je comprends. Un solitaire donc.

M. Boivin se lève pour aller chercher une bouteille dont l'amorce m'intrigue : un amour perdu ? Une belle histoire en perspective donc ? Si j'aime partager une bouteille, j'aime encore plus les histoires alors je me penche légèrement, me mettant à l'aise tout en guettant la suite. Comme toujours, la bouteille en elle-même ne présage rien de ce qu'elle peut contenir et j'observe l'homme au regard pétillant verser de cette façon si familière qui me serre le coeur.

Je suis à la fois ravie et surprise de vous faire penser à une telle histoire. Mais j'ai hâte de le goûter.

Curieuse, je prends mon verre et admire la couleur du liquide avant de trinquer avec Winslow, portant le vin à mes lèvres pour le goûter. Ses premières notes me font hausser les sourcils avant que le bouquet ne s'épanouisse sur ma langue, à la fois délicat et peut-être effectivement un peu trop piquant, quelque chose de plus passionné que mélancolique mais qui me fait sourire avec approbation.

Il est très particulier mais agréable, c'est un vin qui porte une belle histoire, j'ai l'impression. Votre cave renferme des merveilles.

Post-scriptum:

La saveur du vin me reste en bouche longtemps, s'épanouissant comme un nuage pendant que j'écoute M. Boivin, je suppose que les différents tests m'ont rendu plus aptes à trouver sa voix agréable. Il a un timbre assez doux pour quelqu'un de sa...stature, il doit sans doute avoir l'habitude de passer du chuchotement discret avec un client à quelque chose de plus sonore quand il apprécie la compagnie d'amis. Peut-être les collègues qui travaillent avec lui à vendre aux habitants les meilleures bouteilles.

Dans cette ambiance très particulière et hors du monde, j'en oublie le temps qui passe et pourtant, il faudra bien que je me décide à partir, rien que parce que cet homme est sur son lieu de travail. Mais cela me donne envie de revenir, rien que pour déguster d'autres vins avec lui, l'écouter parler de tout et de rien et voir son regard s'allumer en parlant d'un millésime.

Oh et…Je ne vous ferais payer que la bouteille pour votre ami. Du reste, je vous en fais cadeau.

Vraiment ? C'est adorable et je suis assez surprise, relâchant le pied du verre avant de risquer qu'il ne tombe. Il est...soit extrêmement gentil soit un commerçant comptant sur la régularité de ses clients (et un peu sur son talent, non ?). Toujours est-il que je souris en hochant la tête.

Merci beaucoup, c'est très gentil à vous.

Cependant, cela me gêne un peu de profiter de sa générosité et je glisse un regard vers mon poignet avant de me rendre compte qu'il est bien plus tard que je ne le pensais. Mince, je commence tôt demain en plus. Quel dommage, je serais bien restée plus longtemps. Mais c'est pour mieux revenir, je me le répète en prenant mon manteau avec une grimace un peu attristée, je dois le reconnaître.

Hélas non, il va falloir que je rentre avant de me changer en citrouille. Mais je tiens à revenir et...disons que je vais repartir d'ici avec le cadeau de mon ami, plus une bouteille de votre choix. Choisissez celle qui vous semble adéquat et je reviendrai bientôt pour vous dire si elle m'a convenue. Je vous fais confiance.

Cela permettra d'avoir un sujet de discussion tout trouvé pour notre prochaine entrevue et puis, je ne voudrais pas qu'il pense que je profite de lui pour boire gratuitement. Veillant à ne pas cogner la table, j'attrape mes affaires sans pouvoir m'empêcher de regarder Winslow. Il y a décidement quelque chose de particulier en lui, je suis heureuse d'avoir fait sa connaissance.

Je vous dit 'à bientôt', sans aucun doute.